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LES QUESTIONS DE BACON

d’Avicenne et d’Al Gazâli a pu, très légèrement, modifier son langage ; elle n’a rien changé au fond de ses idées.

Dans la pensée du jeune maître ès arts, nous venons de voir se heurter, au sujet de la théorie des moteurs célestes, trois influences bien différentes : influence de la doctrine d’Aristote, l’influence de la doctrine d’Avicenne et d’Al Gazâli, l’influence de la doctrine chrétienne. Péripatétisme païen, Néo-platonisme arabe et Christianisme sont, sur ce point comme sur tant d’autres, radicalement incompatibles ; de mainte façon, cependant, les docteurs de l’École vont s’efforcer de les concilier, et ces multiples tentatives vont engendrer les systèmes les plus divers et les plus confus, jusqu’au jour où Jean Buridan, au nom de la loi de l’inertie, déclarera que les orbes célestes ne sont unis ni par des intelligences, ni par des âmes, mais par la chiquenaude initiale du Créateur.


Les doctrines que nous venons d’exposer sont-elles propres à Roger Bacon ? Devons-nous penser, au contraire, qu’elles avaient, habituellement cours, au milieu du xiiie siècle, à la Faculté des Arts de Paris ? Entre ces deux avis, il nous est impossible de faire un choix autorisé : le manuscrit conservé par la Bibliothèque d’Amiens est le seul document qui nous renseigne sur ce qu’on discutait et soutenait, dans les salles de la rue du Fouarre, au voisinage de l’an 1250. Nous serions tentés, cependant, de choisir le second parti et de croire que, sur les divers sujets dont nous nous sommes occupés, les maîtres ès arts gardaient, en général, des positions voisines de celles que tenait leur collègue Roger Bacon. Ce serait, alors, à l’influence de toute la Faculté de Paris, et non pas à la seule influence de Bacon, que l’Ordre Franciscain devrait d’avoir fait siennes, durant tout le xiiie siècle, la plupart de ces thèses.

Ces thèses étaient exposées et soutenues à l’aide de termes empruntés au Stagirite ; mais, la plupart du temps, la tendance n’en était point du tout péripatéticienne ; à leur formation, Saint Augustin et Avicébron avaient pris, bien souvent, une part beaucoup plus grande qu’Aristote. Aussi vont-elles être en butte aux très vives attaques des maîtres plus dociles à l’influence du Péripatétisme, des deux grands docteurs dominicains, Albert le Grand et Saint Thomas d’Aquin.