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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

n’est point l’acte ni la perfection du mobile ; il n’est donc pas nécessaire qu’elle soit mue ni circulairement ni d’autre manière par l’effet du mobile qu’est le ciel. On voit par là que l’intelligence peut mouvoir de mouvement local sans être mue, elle-même, ni de mouvement propre, ni par entraînement. »

« Avicenne et Algazel admettent que le ciel est mû par une âme[1]… Mais si l’âme ou ce qu’ils appellent l’âme meut le ciel à la façon dont, chez les animaux, l’âme meut le corps, alors, sans aucun doute, cette âme ne peut être, par elle-même, cause d’un mouvement continu et perpétuel. Elle le pourrait, toutefois, par une force reçue d’ailleurs. »

Au moteur qu’il appelle conjoint, Bacon a bien pu donner le nom d’âme intellectuelle ; mais, tout comme le traité De substantia orbis, il veut que cette âme ne soit pas la forme, l’acte, la perfection d’un corps ; partant, le seul titre qui convienne vraiment à ce moteur, c’est celui d’intelligence, que Bacon lui donne de préférence.

Comment conçoit-il l’action de ce moteur ?

« Toute chose, dit-il[2], mue par un moteur volontaire qui lui est conjoint, se meut d’elle-même, comme on le voit pour les animaux. Or le ciel est de cette sorte, car il est mû par l’intelligence qui lui est députée et conjointe

» On objecte à cela que tout être qui se meut de soi-même, se meut de mouvements contraires, car son mouvement vient d’un moteur doué de volonté ou d’un principe volontaire.

» Nous répondrons que, d’un tel principe volontaire, on peut parler de deux manières différentes.

» On en peut parler au point de vue de la nature même de la volonté ; de cette façon, il est vrai de dire qu’il pourrait mouvoir de mouvements contraires.

» On en peut parler en supposant que la nature [de la volonté] soit ordonnée et qu’elle consente à ce qui est naturellement le meilleur ; de cette façon, le principe volontaire ne peut plus mouvoir de mouvements contraires ; ce ne serait point, en effet, ce qui est naturellement le meilleur, mais bien ce qui est le plus mauvais ; si ce principe venait à mouvoir autrement qu’il ne meut, peut-être faudrait-il que la nature entière fût détruite. »

Nous reconnaissons la doctrine que Bacon avait déjà formulée dans son commentaire au XIe livre de la Métaphysique ; la lecture

  1. Quæst. VI ; ms, cit., fol. 72, coll. c et d.
  2. Quæst. I ; ms. cit., fol. 71, col. d, et fol. 72, col. a.