Page:Duhem - Le Système du Monde, tome V.djvu/415

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
409
LES QUESTIONS DE BACON

« Le ciel est mû par sa nature[1] qui est sa forme, mais non d’une manière suffisante… En effet, la forme circulaire incline au mouvement circulaire, mais pas suffisamment » pour produire ce mouvement d’une manière effective.

Ce moteur conjoint est donc une âme. Évidemment, ce ne peut être une âme végétative[2]. Est-ce une âme sensitive ? En dépit de certaines expressions ambiguës d’Avicenne, on ne le peut admettre. Il faut donc que le moteur du ciel soit une âme raisonnable (anima interactiva).

Mais si Bacon consent, à l’exemple d’Averroès, à donner le nom d’âme au moteur du ciel, c’est à la condition, déjà posée au traité De substantia orbis, d’ôter à cette âme tous les caractères que ce nom implique habituellement et qu’Avicenne et Al Gazâli lui avaient maintenus. Nous allons entendre, en effet, dans une suite de textes, notre maître ès arts s’appliquer à la distinction qu’il convient de poser entre l’intelligence qui meut un orbe et l’âme d’un être vivant.

Il examine cette question[3] : « Le moteur conjoint du ciel (telle est l’intelligence) est-il en mouvement ? Il semble que oui, répond-il. En effet l’intelligence qui meut le ciel est appelée Âme du Monde ; cette intelligence doit donc, au moins en ce qui a trait au mouvement, avoir, [à l’égard de l’orbe céleste], la même opération qu’a l’âme raisonnable à l’égard du corps humain ; or l’âme d’un homme est mue, tout au moins par entraînement [per accidens) quand son corps est en mouvement ; de même, donc, l’intelligence doit être mobile, au moins par entraînement. »

Notre auteur ne regarde pas ce raisonnement comme valable. « Il n’y a point similitude entre l’intelligence et l’âme, dit-il ; en effet, bien que l’Intelligence soit moteur conjoint, elle n’est pas, comme l’âme, moteur de la matière même ; partant, de ce que l’âme est mue par entraînement, il n’en résulte pas qu’il en soit de même de l’intelligence. »

« En quelque corps que se trouve une âme, dit-il encore[4], que ce corps soit homogène ou hétérogène, qu’il soit mû de mouvement rectiligne ou de mouvement circulaire, dès là que ce corps est mû de mouvement local, il est nécessaire que l’âme soit également mue de mouvement local, tout au moins par entraînement ; la cause en est que l’âme est l’acte du corps. Mais l’intelligence

  1. Quæst. XIV, fol. 74. col. a.
  2. Quæst. XV ; ms. cit., fol. 74, col. a.
  3. Quæst. III, fol. 72, coll. a et b.
  4. Quæst. V ; ms. cit., fol. 72, col. c.