Page:Duhem - Le Système du Monde, tome V.djvu/414

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
408
LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

Il a bien entendu qu’Avicenne et Al Gazâli considéraient deux sortes de moteurs célestes, qu’ils parlaient d’un moteur séparé et d’un moteur conjoint ; il s’empresse donc, lui aussi, de déclarer[1] qu’on doit distinguer entre le moteur séparé et le moteur conjoint. Mais il n’a pas vu qu’au gré des philosophes arabes, chaque sphère céleste avait, à la fois, un moteur séparé et un moteur conjoint ; il admet donc, tout comme Robert Grosse-Teste[2], qu’il existe un seul moteur séparé ; il l’identifie à la Cause première et le charge de mouvoir de mouvement diurne l’orbe suprême et tout le ciel ; puis, à chacun des orbes inférieurs, il assigne un moteur particulier, chargé de produire le mouvement qui est propre à cet orbe ; à ce moteur particulier, il donne le nom d’intelligence ou de moteur conjoint ; c’est ainsi son ancienne théorie qu’il reproduit sous des termes fournis par Avicenne.

Que telle soit bien la pensée de Bacon, nous le pouvons établir par des citations multiples :

« Tout ciel[3] se peut diviser en l’orbe lui-même, et l’intelligence qui meut cet orbe… Il est mû par l’intelligence qui lui est députée et conjointe. »

« On a l’habitude[4] d’admettre deux moteurs du Ciel, le moteur séparé et le moteur conjoint… C’est la Cause première qui est le moteur séparé du Ciel. »

« On demande alors[5], au sujet du moteur céleste conjoint (telle est l’intelligence), s’il est en mouvement…

» Solution : On doit répondre, selon l’opinion de certains philosophes, que cette proposition : Le premier moteur n’est mû ni de mouvement propre ni de mouvement d’entraînement (nec per se nec per accidens), se doit entendre du moteur séparé, qui est la Cause première de toutes choses, et non du moteur conjoint, qui est l’intelligence : celle-ci, en effet, à leur avis, est mue par accident…

» Ou bien on doit dire que l’intelligence, qui est le moteur conjoint, n’est mue ni de mouvement propre ni de mouvement d’entraînement. »

Au sujet de ce moteur conjoint, que nous enseigne notre maître ès arts ? Est-ce simplement la forme de l’orbe céleste ou bien est-ce une âme ?

  1. Quæst. II ; ms. cit., fol. 72, col. a.
  2. Vide supra, pp. 354-355.
  3. Quæst. I : ms. cit., fol. 71. col. d, et fol. 72, col. a.
  4. Quæst. II ; ms, cit., fol. 72, col. a.
  5. Quæst. III ; ms. cit., fol. 72, coll. a et b.