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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

cette condamnation paraîtra fort douteux même aux contemporains de ceux qui l’auront portée. L’intention de ceux-ci, semble-t-il, sera de jeter l’anathème sur l’erreur que Bacon signalait déjà et que le Traité des intelligences rejetait également[1].

Par essence[2], ces intelligences motrices, volontaires et libres, sont indifférentes à mouvoir tel orbe plutôt que tel autre, à communiquer tel mouvement de préférence à tel autre mouvement. « Mais l’une d’entre elles est députée à mouvoir Saturne, l’autre à mouvoir Jupiter, et ainsi des autres. »

« Mouvoir volontairement, en effet, peut s’entendre de deux manières[3] ; on peut l’entendre de l’indétermination de la volonté et, dans ce sens, chaque intelligence peut mouvoir plusieurs mobiles ; ou bien on le peut entendre de l’appropriation de la volonté et, dans ce sens, une intelligence ne saurait mouvoir plusieurs mobiles. Dans l’homme, il y a la volonté indifférente : il y a aussi la volonté déterminée après que la raison a été prise en considération ; de même, dans une intelligence, il y a la volonté indifférente et la volonté députée ou appropriée. »

Concevoir les intelligences motrices des cieux comme des volontés libres qui obéissent à un ordre, voilà qui ne serait point du tout du goût d’Aristote. On peut deviner, croyons-nous, ce qui suggère à Bacon cette opinion fort peu péripatéticienne. Dès ce moment, notre maître ès arts lit et cite la Philosophie d’Algazel[4] ; il s’en est encore trop peu pénétré pour que sa théorie des intelligences célestes éprouve la moindre influence de la doctrine soutenue par le philosophe arabe ; mais il a lu, dans la Philosophia Algazelis, que ce que les philosophes appelaient intelligence, était nommé ange par la religion ; dès lors, il a voulu que les intelligences motrices des cieux fussent douées de volonté et de liberté comme les anges du Christianisme.

L’étude des moteurs qui assurent la rotation des orbes célestes est reprise par Bacon dans sa seconde série de questions sur la Physique d’Aristote ; les questions, relatives au VIIIe livre, qui terminent cette série ont, presque toutes, cette étude pour objet ; donnons-en la liste[5], en y joignant un numérotage qui facilitera nos références.

I. Dubitatur de illo capitulo in quo [Aristoteles] docet omnia

  1. Voir : Troisième partie, Ch. IX, § V ; ce vol., pp. 367-368.
  2. Quæst. cit., quæst. VII ; ms. cit., fol. 172, col. c.
  3. Quæst. cit., quæst. VIII ; ms. cit., ibid.
  4. Quæst. cit., quæst. II ; ms. cit., fol. 171, col. d.
  5. Ms. cit., fol. 71, col. d, à fol. 74, col. a.