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LES QUESTIONS DE BACON

parlons de ce moteur, tous les orbes et tous les astres sont mus par le même moteur le mouvement qu’il produit est un mouvement commun qui domine, entraîne et fait tourner ; aussi tous les orbes inférieurs sont-ils entraînés et mis en rotation par le mouvement du premier orbe.

» Il y a, en second lieu, un moteur propre, approprié et exécutif ; c’est une intelligence ; à ce moteur répond le mouvement propre qui est de sens contraire au mouvement du premier mobile. Si nous parlons de ce moteur, chaque orbe inférieur a pour moteur une intelligence qui lui est spécialement députée. »

La question suivante ajoute, d’ailleurs[1] :

« Chaque orbe inférieur a deux mouvements.

» L’un de ces mouvements, comme nous l’avons vu, est le mouvement commun ; de cette façon-là, tous les orbes inférieurs sont mus par le même moteur.

» L’autre mouvement est un mouvement propre ; l’orbe le tient du moteur délégué (admises) ou intelligence. Aussi, de même qu’il y a sept orbes inférieurs, il y a sept intelligences motrices. »

Cette théorie, dans sa grande simplicité, reproduit assez exactement la pensée qu’Aristote exprime aux Chapitres VII et VIII du XIe livre de la Métaphysique ; seulement l’Astronomie rudimentaire dont Bacon se contente requiert beaucoup moins d’intelligences motrices que le Stagirite n’en devait supposer pour mouvoir ses nombreuses sphères homocentriques.

Les questions sur le XIe livre de la Métaphysique nous apportent encore quelques renseignements sur la nature et les qualités que notre maître ès arts attribue aux intelligences motrices.

Elles nous apprennent[2], par exemple, « que la Cause première est absolument séparée de toute matière, mais qu’il n’en est pas de même des autres intelligences ; celles-ci, en effet, ont une matière, bien que cette matière soit incorporelle et spirituelle. »

Les intelligences sont des moteurs volontaires[3]. Il ne faut cependant pas croire qu’une telle intelligence « soit un moteur volontaire dont l’action est identique à la volonté (motor per voluntatem cujus voluntas est ejus actio). Seule, la Cause première est un tel moteur. »

En 1277, les docteurs en Théologie de Paris, présidés par l’évêque Étienne Tempier, condamneront cette proposition : « C’est par sa seule volonté que l’intelligence meut le ciel. » Le sens de

  1. Quœst. cit., quæst. VII ; ms. cit., fol. 172, col. c.
  2. Quœst. cit., quæst. VII ; ms. cit., fol. 172, col. c.
  3. Quœst. cit., quæst. VIII ; ms. cit., fol. 172, col. c.