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AVICÉBRON

mouvement local elles autres mouvements. Tous ces mouvements dérivent de la Volonté. Il faut donc que toutes les substances, tant spirituelles que corporelles, soient mues par la Volonté… Ce mouvement que la Volonté répand en toutes les substances est plus puissant ou plus faible par suite de la diversité des substances qui le reçoivent, non par l’effet d’une diversité qui serait en la Volonté même. »

Une en son essence, la Volonté est accidentellement, par la variété des substances au sein desquelles elle agit, diverse en son action.

De cette affirmation, ou peut rapprocher cette autre, qu’Avicébron aime à répéter[1] : « Finie en ce qui concerne son effet, la Volonté est infinie en son essence. » De cette affirmation voici, d’ailleurs, tout aussitôt, l’explication : « Si la Volonté est finie en son effet, c’est que l’action de la Volonté a un commencement et lui est postérieure ; mais la Volonté est infinie dans son essence, car elle n’a pas eu de commencement. Il en est au contraire de la substance de l’Intelligence ; celle-ci a eu un commencement, car elle est créée (causata est) ; mais elle n’a pas de fin, car elle est simple et non soumise au temps. »

Déjà, Ibn Gabirol nous avait appris que la Matière universelle et la Forme universelle n’étaient point des créatures éternelles ; la Volonté qui leur a donné l’existence, affirme-t-il maintenant, est une substance qui n’a pas eu de commencement et qui était avant qu’elle produisit, par son action, toutes les créatures.

Poussons plus loin les conséquences de cette opposition : finie en son action, la Volonté est infinie en son essence ; nous obtiendrons cette conclusion[2] : « Si l’on considère la Volonté en faisant abstraction de son action, elle et l’Essence première sont une seule chose. Si on la considère, au contraire, avec son action, elle est autre chose que l’Essence ; la Volonté et l’Essence, en effet, diffèrent l’une de l’autre au principe même de la création, au moment où commence l’union de la Matière et de la Forme. »

Quels sont donc, en cette première union de la Matière et de la Forme qui constitue la création, les rôles respectifs de l’Essence et de la Volonté ?

De toute éternité, la Matière universelle existait, nous l’avons vu, à l’état de pure puissance, dans la Science de Dieu. Pour qu’elle vînt à l’existence actuelle, il fallait qu’une opération

  1. Avencebrolis Fons vitæ, Tract. III, cap. 207. pp. 205-206.
  2. Avencebrolis Fons vitæ, Tract. V, cap. 37. p. 325.