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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

Monde a commencé, qu’il y eut une première révolution céleste et un premier homme. Après avoir préoccupé les théologiens musulmans et juifs, cet antagonisme préoccupe grandement les théologiens chrétiens.

Des le temps où il enseignait à la Faculté des Arts de Paris, Bacon a proposé, comme solution du débat, une opinion à laquelle il est demeuré fidèle toute sa vie, mais qu’il a été, parmi ses contemporains, presque seul à défendre.

Non seulement il s’est cru, et cela comme beaucoup d’autres, en état, de démontrer philosophiquement que le Monde avait nécessairement commencé, mais encore il a prétendu qu’Aristote n’avait jamais eu l’intention de soutenir la doctrine contraire.

Cette prétention se trouve affirmée dans une des questions[1] sur le huitième livre de la Physique d’Aristote ; cette question est ainsi intitulée : Utrum Aristoteles consentiat in hoc quoi motus sit æternus.

Notre maître ès arts commence par critiquer les démonstrations données, au huitième livre de la Physique, en vue d’établir que le temps ni le mouvement n’ont pu commencer ; il montre en quoi pèchent ces argumentations, puis il conclut en ces termes :

« Qu’Aristote n’ait rien admis de contraire à la foi, cela se voit par son intention même. Il dit, en effet, qu’il n’y a pas eu de temps alors que le mouvement n’existait pas ; il paraît donc avoir seulement voulu que le mouvement n’ait pas pu commencer dans le temps, ce qui est véritable ; aussi par cette récapitulation de ses arguments, voit-on clairement qu’il a entendu parler de la perpétuité qu’on attribue au temps.

» La même chose est mise en évidence par ce qu’il dit lui-même en plusieurs endroits. » Et Bacon d’accumuler les textes d’Aristote d’où l’on peut, semble-t-il, conclure que le Monde a commence.

Les raisonnements donnés par Bacon consistent, pour la plupart, à dresser contre l’hypothèse d’une multitude infinie de choses successives, les objections, soulevées par Aristote, contre toute multitude infinie actuelle de choses simultanées. Aristote avait prévu qu’à ses objections, cette extension pourrait être donnée, et il avait pris soin de la déclarer illégitime, encore qu’il soit permis de regarder comme fort peu logique la fin de non-recevoir qu’il lui oppose. De cette fin de non-recevoir, en tout cas. Bacon ne tient aucun compte ; il écrit :

« À l’infini, on ne peut rien ajouter, est-il dit au traité Du Ciel

  1. Ms. cit., fol. 69, col. a.