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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

Nous ne sommes donc pas étonnés lorsque nous voyons Bacon consacrer sa première question[1] à examiner si les accidents sont causes de l’individuation, lorsque nous l’entendons invoquer, en faveur de l’affirmative, les textes de Boëce qu’on avait accoutumé de citer dans ce but.

Tout ce que Bacon veut bien concéder à cette opinion, c’est que les accidents sont causes formelles de l’individualité ; concession purement verbale, d’ailleurs ; elle signifie simplement qu’au point de vue du langage, virtute nominis, « indivisible, un, individuel, et toutes les dénominations de même sorte sont du genre accident. » Mais « s’il s’agit de la cause efficiente de l’individuation, ce sont les principes constitutifs de la substance qui sont cause efficiente de l’individuation. »

Cette proposition s’affirme à nouveau dans la deuxième question ; mais, tout aussitôt, elle suscite la troisième question[2] : Puisqu’il faut chercher la cause efficiente de l’individuation parmi les principes constitutifs de la substance, devons-nous attribuer cette individuation à la seule matière, à la forme seule ou bien à toutes deux à la fois ?

Sur l’autorité du Philosophe, notre auteur commence par accorder que « la matière est la cause efficiente originelle de l’individuation ». Mais, en discutant la quatrième question[3], il complique cette conclusion ; dans la détermination de l’individuation, il accorde aussi un certain rôle à la forme ; il l’accorde en vertu de ce raisonnement qui paraît s’inspirer d’Avicébron : « L’acte divise et distingue, et la forme est acte… ; or ce qui est cause de distinction et de division est cause d’individuation. » Partant, dit Bacon, « la forme est cause d’individuation et la matière est cause concomitante (concausa) ; l’une et l’autre, en effet, sont principes de la substance individuelle ; aussi sont-elles, l’une et l’autre, causes d’individuation. »

Après une discussion assez compliquée, notre maître ès arts finit, cependant, par déclarer, dans sa cinquième question[4], que la matière est la cause principale de l’individuation. En effet, dit-il. « l’individuation et l’unité sont propriétés semblables ; mais l’unité est quantité qui est issue de la nature de la matière… Presque en toutes choses, la matière est numériquement une ; aussi existe-t-elle, en tel individu, par telle de ses parties qui est

  1. Ms. cit., fol. 102, col. b.
  2. Ms. cit., fol. 102, col. c.
  3. Ms. cit., loc. cit.
  4. Ms. cit., fol. 102, col. d.