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LES QUESTIONS DE BACON

lorsqu’on demande : Cette chose, qu’est-elle ? Quid est ? Or la réponse à cette question, c’est la définition de la chose. L’essence ou quiddité est donc exprimée par la définition.

Mais une règle courante de la Logique dit que toute définition se donne en désignant le genre prochain et la différence, spécifique ; là donc où il n’y a pas genre prochain et différence spécifique, pas de définition, partant pas d’essence ou quiddité.

Dès lors, il semble que l’espèce seule puisse avoir une essence ou quiddité, car l’espèce possède seule un genre prochain et une différence spécifique.

Cette opinion, Bacon l’avait rencontrée dès sa première question, car elle tendait à nier qu’une chose absolument simple, comme Dieu, la matière première, la première forme pût avoir une quiddité. Il la retrouve dans sa sixième question[1] ; ici, elle veut dénier toute essence au genre le plus général, à la substance prise d’une manière absolue, car, pour une telle substance, il n’y a pas de genre prochain ; elle veut dénier toute quiddité aux individus, « car l’individu ne se définit pas, dit Aristote. »

À cette opinion, voici ce qu’oppose notre maître ès arts : « Toute chose qui existe d’une manière très véritable, possède également, d’une manière très véritable, une quiddité ; ainsi en est-il des substances séparées et aussi des substances individuelles, car les unes et les autres sont ce qui, au plus liant point, possède l’existence.

» Ce n’est donc pas une objection valable de dire que l’espèce seule se définit. Aussi le genre le plus général a-t-il une quiddité, et l’individu en a-t-il une également…

» La question : Cette chose, qu’est-elle ? Quid est ? Se peut résoudre de deux manières différentes. » On y peut répondre, d’abord, en nommant une chose qui se trouve plus haut placée dans l’ordre des catégories. La question : Qu’est-ce ?, posée au sujet du genre le plus général, ne se peut résoudre de cette manière. « Mais cette question, posée au sujet d’un composé premier, peut aussi se résoudre par l’analyse du composé en ses principes. C’est ainsi que la question : Qu’est-ce ? se résout lorsqu’elle est posée au sujet du genre le plus général ; on y répond en disant : La substance, c’est ce qui est composé de matière et de forme.

» Lors même, donc, qu’une chose ne peut être définie, elle a, cependant quiddité et essence, car la quiddité, c’est la nature même de la chose, l’entité et la vérité de son être. Partant, comme

  1. Ms. cit., loc. cit.