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LES QUESTIONS DE BACON

adjoindre la différence spécifique, c’est conférer, à cette essence, l’existence complète.

Voilà tous les éléments d’une théorie de l’essence ou quiddité ; théorie fort originale d’ailleurs, au moins par l’ordre nouveau qu’elle impose à des pensées anciennes. Chose curieuse ! Dans les questions que nous allons analyser maintenant, Bacon paraît totalement oublieux de cette théorie.

Il nous a dit que, donner la matière à l’état de puissance active, c’était donner l’essence ou quiddité ; mais il ne nous a pas dit que la matière à l’état de puissance active fût même chose que l’essence ; elle est si peu même chose que l’essence, qu’elle nous donne cette essence unie à un mode d’existence bien déterminé, à l’existence incomplète ; or l’essence considérée d’une manière absolue est prise abstraction faite de tout mode d’existence, soit complet, soit incomplet. Voici donc une question qui demeure entière : Qu’est-ce qui est, qu’est-ce qui constitue l’essence ou quiddité d’une substance proprement dite, composée de matière et de forme ?

L’essence d’une telle substance, est-ce l’agrégat que composent, par leur union, la matière et la forme (aggregatum ex matéria et forma) ? C’est la troisième question.

« De l’union entre la matière et la forme de l’homme, dit Bacon[1], il ne résulte rien d’autre que l’homme. Mais l’essence d’une chose est distincte de la chose dont elle est l’essence (sed quidditas distinguitur ab eo cujus est). Partant, la quiddité de l’homme, ce n’est pas l’homme. L’essence, ce n’est donc pas l’agrégat de la matière et de la forme. »

Tout en accordant cette conclusion, Bacon formule la restriction que voici ; « Toutefois, l’essence est le résultat d’une union entre certaines choses. » Il fait observer que, sans être l’agrégat que la matière et la forme donnent en se combinant, une chose peut cependant résulter de l’union de la matière et de la forme, supposer cette union ; ainsi en est-il, par exemple, de tout accident. « Il en est de même de la quiddité », dit-il.

Cette essence ou quiddité, la quatrième question nous enseigne[2] que c’est une forme.

Mais cette forme, qui constitue l’essence ou quiddité d’une substance, ce n’est aucunement la forme substantielle qui, unie à la matière, constitue cette même substance[3] : « Il y a une certaine

  1. Ms. cit., loc. cit.
  2. Ms. cit., loc. cit.
  3. Cinquième question, Ms. cit., fol. 100, col. b.