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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

plète, d’une existence en puissance ; il traite l’existence complète comme une chose qui advient à cette essence absolue, qui s’y ajoute.

On pourrait encore reconnaître l’influence d’Avicenne dans le rapport ici établi entre l’addition de l’existence à l’essence et la mise en acte de la forme qui se trouvait en puissance dans une matière.

Mais ce que Bacon tient d’Avicenne se vient combiner avec sa théorie de la puissance active de la matière, de la raison séminale ; et nous avons dit combien cette théorie réunissait en elle d’apports reçus des philosophies les plus diverses.

Lorsque, d’une chose, nous possédons la matière à l’état de puissance active, lorsque nous tenons la matière unie à la raison séminale, à la forme incomplète dont l’agent extérieur fera une forme en acte, nous avons déjà l’essence ou quiddité de cette chose ; nous ne la possédons, il est vrai, que sous un certain mode d’existence, sous cette existence incomplète qu’est l’existence rn puissance ; mais si nous voulons la considérer d’une manière absolue, en faisant abstraction du mode d’existence sous lequel elle se trouve, cela nous suffira, Nous pouvons donc dire : Lorsque, d’une chose, la matière première, accompagnée de la raison séminale, est donnée, l’essence absolue est également donnée. Que l’agent extérieur développe la raison séminale pour en faire la forme en acte ; l’essence considérée d’une manière absolue, la quiddité prise en elle-même, n’en éprouvera aucun changement ; mais elle quittera l’existence incomplète et en puissance pour passer à l’existence complète et actuelle.

Cet appel à la théorie des formes séminales, Bacon le joint au souvenir d’un axiome, courant dans les écoles, et très conforme à la doctrine d’Avicébron : En toute substance composée, le genre prochain correspond à la matière et la différence spécifique à la forme. Cet axiome, notre maître es arts le précise : Le genre prochain, c’est la matière en puissance active, la matière impliquant en elle la forme incomplète ; ajouter au genre la différence spécifique, c’est remplacer la forme incomplète par la forme complète.

Ainsi formulé, et rapproché de ce qui a été dit au sujet de l’essence et de l’existence, cet axiome entraîne, tout aussitôt, la conclusion suivante :

Donner le genre prochain auquel une chose appartient, c’est en donner l’essence, encore que cette essence se trouve seulement unie, dans ce cas, à une existence incomplète ; à ce genre,