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LES QUESTIONS DE BACON

dont la chose sera tirée par l’action de l’agent ; dans ce sens, le principe matériel suffit à donner l’essence, mais à la donner sous une existence incomplète ; il implique en lui toute la quiddité et toute l’essence de la chose ; de cette façon, la quiddité tout entière est désignée par le genre…

» D’une autre façon, la quiddité désigne l’essence prise sous son existence complète ; ainsi considérée, la quiddité est exprimée par la définition ; de cette façon, le genre ou le principe matériel ne suffit plus [à donner la quiddité] ; le genre, en effet, exprime l’essence, tandis que la différence exprime l’existence (quia genus dicit essentiam, differentia dicit esse…).

» La quiddité, par cette addition, devient plus intense (intenditur) ; le genre apporte avec lui l’essence et la quiddité ; la différence apporte l’existence complète de cette essence (per genus importatur quidditas et essentia ; per differentiam, esse completum essentiæ.) »

Pour éclaircir pleinement la pensée de Bacon, il est bon d’y joindre cette raison ; elle se trouvait indiquée avant la solution que nous venons de rapporter.

« Dans les choses produites par la nature, c’est par la matière que se fait la production ; dans cette matière, il y a une puissance active qui, par l’agent universel, devient la forme ; si cette puissance active diffère de la forme produite en acte, c’est seulement au point de vue de l’existence ; au point de vue de l’essence, elle est la même ; [lors donc que la puissance active devient forme en acte], il n’y a aucune addition d’essence, mais seulement une addition d’existence, comme on le voit dans une graine qui va de l’existence incomplète à l’existence complète ; mais la quiddité et l’essence sont la même chose ; dans les choses naturelles, donc, le principe matériel fait toute la quiddité et toute l’essence. »

Après avoir développé sa solution, Bacon examine les raisons qu’il avait exposées auparavant ; de celle que nous venons de reproduire, il dit alors : « Il est évident que cela est vrai, pourvu que la quiddité désigne l’essence prise sous n’importe quel mode d’existence, soit existence complète, soit existence incomplète. »

Dans la théorie que nous venons d’exposer, on peut, nous semble-t-il, démêler bien des influences diverses.

Celle qui se montre tout d’abord, c’est l’influence d’Avicenne. Comme Avicenne, Bacon admet que l’essence peut être considérée d’une manière absolue ; qu’elle est, alors, séparée de tout mode d’existence ; qu’on n’examine ni si elle existe de l’existence complète et actuelle, ni si elle existe seulement d’une existence incom-