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LES QUESTIONS DE BACON

avec les pensées exposées dans l’article précédent, au sujet de la forme, nous montre que Bacon a, dans une meme doctrine, réuni une théorie d’Avicébron et une théorie de Saint Augustin ; la soudure entre ces deux théories s est faite par la notion de puissance active.

Avant de devenir une substance achevée, de l’air ou de l’eau, par exemple, la matière première, au gré d’Avicébron, doit recevoir plusieurs formes superposées ; d’abord, la forme première, qui la fait substance ; puis la corporéité, qui la fait corps ; puis la forme élémentaire.

Chacune de ces formes, sauf la dernière, est incomplète, car elle ne suffit pas à faire une substance actuelle ; elle a besoin d’être complétée par la forme suivante ; selon le Rabbin de Malaga, elle joue, à l’égard de cette forme plus spéciale, le rôle d’une matière.

Cet état où se trouve une forme incomplète, apte à servir de matière à une forme plus complète, cet état où il y a mélange d’acte et de puissance, c’est ce que Bacon désigne par le nom de puissance active.

Or, d’autre part, ce germe de forme qui se cache dans la matière et qui, au moment de la génération d une substance, deviendra forme en acte, Bacon y voit également une forme incomplète, douée de puissance active ; il est donc vrai qu’il use de la philosophie d’Avicébron pour éclairer celle de Saint Augustin ; plus exactement, les doctrines d’Avicébron lui servent à souder la pensée d’Aristote à celle de l’Évêque d’Hippone.

Cette puissance active est un principe d’action, mais c’est un principe incomplet. « C’est un agent incomplet[1] et insuffisant ; il ne peut mener à l’acte qu’après avoir été excité et fortifié d’ailleurs. »

Cet agent extérieur qui viendra renforcer et exciter la puissance active, quel est-il ? « Il y a, nous dit Bacon[2], deux sortesd agents extérieurs, l’agent particulier et l’agent universel ; l’agent particulier, c’est, par exemple, l’homme ; l’agent universel, c’est le Soleil ou le Ciel. »

Ainsi, lors de la génération d’un homme, la forme humaine incomplète qui réside dans la matière, mettra cette matière en acte pour l’amener à constituer un homme complet et achevé ; mais pour qu’elle puisse exercer cette action, il faudra qu’elle soit

  1. Ms. cit., loc. cit.
  2. Ms. cit., fol. 100, col, d.