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AVICÉBRON

Théologie d’Aristote l’avait décrit sous le nom d’amour ; mais il n’en avait pas fait une substance particulière. Fidèle à sa méthode générale, Ibn Gabirol va le réaliser en une substance spirituelle.

Puisque la Matière universelle et la Forme universelle ont, entre elles, quelque chose de commun, savoir ce mutuel désir qui les pousse à s’unir l’une à l’autre, il faut qu’elles tiennent ce caractère commun d’une substance supérieure à toutes deux. Cette substance « spirituelle et plus que spirituelle »[1], c’est le Verbe actif (Verbum agent) ou Volonté de Dieu. Voilà pourquoi Ibn Gabirol écrit[2] : « Dans l’être, il n’y a que ces trois choses, la Matière et la Forme d’une part, l’Essence première d’autre part, enfin la Volonté qui est le milieu entre les extrêmes. »

Selon la doctrine constante d’Ibn Gabirol, les choses qui ont entre elle un caractère commun ne reçoivent pas seulement ce caractère commun d’une substance plus unie, plus simple, plus parfaite qu’elles mêmes ; c’est de cette substance qu’elles tiennent l’existence même ; cette substance les crée. La Volonté doit donc être créatrice de la Forme universelle et de la Matière universelle. Cette proposition, Avicébron la répète à maintes reprises : « C’est la Volonté, dit-il[3], qui crée la Matière et la Forme, et qui les meut. » « La Volonté[4] est le créateur, tandis que la Matière et la Forme sont les créatures. »

Créatrice de la Matière universelle et de la Forme universelle, la Volonté est, par le fait même, créatrice de tous les êtres que compose l’union de la Matière et de la Forme : « Rien n’existe sans elle[5], car l’existence et la constitution de toutes choses proviennent d’elle… Ne vois-tu pas, en effet, que l’essence de toutes choses n’est taile que de Matière et de Forme, et que l’existence de la Matière et de la forme vient de la Volonté, puisque c’est la Volonté qui les a faites, qui les a conjointes, qui les retient unies ? »

Créatrice de substances moins simples et moins parfaites qu’elle-même, une substance spirituelle ne demeure pas entièrement séparée des êtres qu’elle a produits ; elle les contient et les porte en elle-même, elle les pénètre, elle leur est unie comme l’âme est unie au corps. Ainsi la Volonté doit-elle être unie à la Matière universelle et à la Forme universelle. « Après que le Verbe[6], c’est-

  1. Avencebrolis Fons vitæ, Tract. V, cap. 38. p. 327.
  2. Avencebrolis Fons vitæ, Tract. I, cap. 7. p. 9.
  3. Avencebrolis Fons vitæ, Tract. II, cap. 13. p. 47.
  4. Avencebrolis Fons vitæ, Tract. V, cap. 37. pp. 325.
  5. Avencebrolis Fons vitæ, Tract. V, cap. 39. p. 327.
  6. Avencebrolis Fons vitæ, Tract. V, cap. 36. p. 323.