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LES QUESTIONS DE BACON

Ainsi une première forme, en s’unissant à la matière absolument première, qui existait on pure puissance réceptive, donnera le genre généralissime, la substance universelle, ou encore la matière nue dont le mode d’existence est une puissance active.

Survenant à ce premier genre, une seconde forme donnera le corps ; ce corps constituera la matière naturelle.

Venons à l’étude plus détaillée de ces deux formes qui s’unissent successivement à la matière.

La forme première, nous apprend la quatrième question[1], doit être unique ; la Métaphysique d’Aristote veut, en effet, que, dans chaque genre, on trouve un premier terme unique auquel s’arrête l’analyse.

Cette forme première, demande la cinquième question, doit-elle être confondue avec la Cause première ? Non, certes. Les deux premiers principes, la matière première et la forme première, sont deux principes contraires ; ces deux principes contraires ne peuvent exister, selon la Physique d’Aristote, que dans un sujet, dans une certaine nature au sein de laquelle ils se trouvent enracinés ; la Cause première, elle, existe par elle-même, et non dans un sujet ; la forme première n’est donc pas la Cause première.

Cette forme première, quelle est-elle donc ? « Elle doit répondre, nous dit la huitième question[2], à la puissance réceptive de la matière nue, elle doit être coordonnée à cette puissance. Or, parmi toutes les formes naturelles, celle qui vient en premier lieu, c’est la forme du genre généralissime ; c’est donc elle qui répondra à la puissance passive de la matière nue et qui sera la forme première ».

La matière première a reçu d’abord cette forme du genre généralissime[3] ; cette première forme est une forme incomplète, c’est-à-dire une puissance active ; partant, elle est la première puissance active de la matière ; à cette première puissance active doit répondre une seconde forme, distincte de la forme du genre généralissime et subordonnée à celle-ci.

Nous devons considérer ici deux oppositions (contrarietales) successives, dont la seconde commence où la première finit.

De ces oppositions, la première avait pour fondement la puissance réceptive de la matière première ; elle a trouvé son terme dans la première forme, dans la forme du genre généralissime.

  1. Ms. cit., fol. 34, col. b.
  2. Ms. cit., fol. 34, col. c.
  3. Question huitième, ms. cit., fol. 34, coll. c et d.