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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

l’existence actuelle. Bacon place plusieurs intermédiaires. Le terme le plus rapproché du néant, c’est la matière tout à fait première, qui existe purement en puissance ; à cette puissance dénuée de toute forme, Bacon donnera le nom de puissance réceptive.

Cette matière tout à fait première recevra un premier acte incomplet, une première forme imparfaite ; elle se trouvera alors élevée d’un degré ; elle n’existera plus simplement en puissance ; son mode dexistcncc sera une actualité imparfaite, une puissance mélangée d’acte, que Bacon nommera puissance active.

Mais cette matière qui a reçu seulement la première forme, cette matière que Bacon appelle la matière nue en puissance active, est-elle enfin la matière naturelle ? Pas encore ; et c’est ce que va nous apprendre la réponse à la seconde question : La forme qui fait, la matière naturelle est-elle la première forme ?

Non, dit notre maître ès arts[1]. « En effet, la matière intellectuelle requiert tout ce que désigne le genre le plus général, » c’est-à-dire la substance considérée d’une manière universelle, le composé de la première matière et de la première forme ; « or la matière intellectuelle passe avant la matière naturelle ; ce n’est pas la forme première qui, en s’appliquant à la matière première, fait la matière naturelle. »

Ce composé que désigne le genre le plus général, il est en puissance des choses naturelles, mais en puissance éloignée ; au contraire, à l’égard des choses de la nature, la matière naturelle est en puissance prochaine et immédiate : partant, pour devenir matière naturelle, il faudra que le genre généralissime subisse une nouvelle appropriation.

Quelle est donc cette matière, obtenue par une nouvelle appropriation du genre généralissime, qui doit jouer le rôle de matière naturelle ? N’est-ce pas le second genre, c’est-à-dire le corps ? C’est là la troisième question. Bacon y répond[2] par l’affirmative ;

« Le principe de la Nature, c’est ce qui descend immédiatement à toutes les choses naturelles ; mais ce que désigne le second genre, [c’est-à-dire le corps], est tel ; donc etc, La mineure est évidente ; le corps se divise en corps ingénérable et incorruptible, et corps soumis à la génération et à la corruption ; en sorte que l’analyse de toutes les choses [naturelles] s’arrête au second genre ; ce que désigne ce second genre, ce sera donc la matière naturelle. »

  1. Ms. cit., loc. cit.
  2. Ms. cit., loc. cit.