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LES QUESTIONS DE BACON

» Autre raison dans le même sens ; Tout ce qui, de la lumière, peut recevoir illumination a, en soi, un principe de réception qui est une matière ; or les substances spirituelles reçoivent du premier Être, un influx de lumière[1] ; elles ont donc, en elles-mêmes, un principe de réception qui est une matière ; recevoir, en effet, est le propre de toute matière. »

Les corps célestes, demande la seconde question, ont-ils, eux aussi, une matière ?

« Tout être en puissance, répond Bacon[2], a une matière. Mais les corps célestes sont des êtres en puissance. Donc, etc. La majeure est, de soi, évidente ; la vérité de la mineure apparaît non moins claire ; en effet, une chose qui a le mouvement pour acte est un être en puissance, comme il est écrit au livre des Physiques ; mais le mouvement est l’acte du mobile, et les corps célestes sont des mobiles. »

Venons à la troisième question : Est-ce la même matière qui se trouve dans les corps célestes et dans les choses soumises à la génération ? En faveur de l’affirmative, Bacon expose l’argument que voici[3] :

« Toute chose qui participe au mouvement, participe aux principes du mouvement ; or les corps célestes participent au mouvement ; ils participent donc aux principes du mouvement. Mais tout mouvement va d’un terme à un terme contraire ; en sorte que les contraires sont principes du mouvement ; or la contrariété requiert la matière, comme on le démontre dans ce livre même ; il y aura donc, dans les corps célestes, des contraires et une matière qui leur serve de sujet, tout comme dans les choses soumises à la génération. »

Cet argument est immédiatement suivi d’un développement que notre maître ès arts intitule : Solution. Voici ce développement :

« À ce sujet, il faut faire une remarque ; de même que l’Auteur de la Fontaine de vie distingue trois sortes de matières, de même les distingué-je ici. Il y a, en effet, une matière spirituelle, une matière sensible et une matière intermédiaire entre ces deux-là.

» La matière spirituelle est celle qui n’est sujette ni à la grandeur. ni au mouvement, ni à la contrariété ; cette matière est celle qui se rencontre dans les esprits, dans les intelligences et dans les âmes.

» La matière intermédiaire est soumise à la grandeur et au

  1. Ne faut-il pas voir ici une allusion aux théories du Liber de Intelligentiis.
  2. Ms. cit., loc. cit.
  3. Ms. cit., loc. cit.