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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

que les dimensions, tant déterminées qu’indéterminées, y sont en puissance réceptive toute pure ; la forme substantielle se trouve ici, en puissance, avant la forme accidentelle. »

C’est en ce sens qu’il faut prendre l’affirmation d’Averroès. « Si nous mettons des dimensions indéterminées dans la matière, ce n’est qu’en puissance ; en disant que les dimensions qui sont dans la matière sont indéterminées, on entend qu’avant [la venue de] la forme substantielle, elles y sont en puissance, car il n’y a là aucune forme. On les appelle indéterminées parce que la détermination vient de la forme. »

Le langage de Roger Bacon est, ici, extrêmement voisin de celui qu’à ce même propos tiendra Saint Thomas d’Aquin ; dans la matière première, il n’y aaucune dimension, ni déterminée ni indéterminée, si ce n’est en puissance ; pour les mettre en acte, il faudra une forme substantielle, et celle-ci mettra, tout de suite, en acte, des dimensions déterminées.

Mais cette mise en acte est-elle l’œuvre d’une forme substantielle particulière, d’une corporéité à laquelle une ou plusieurs autres formes substantielles, porteuses de nouvelles déterminations, viendront ensuite s’adjoindre ? Y a-t-il, au contraire, une forme substantielle unique qui confère à la matière les dimensions déterminées en même temps que les autres déterminations ? Avicébron tenait pour le premier parti ; Saint Thomas d’Aquin tiendra pour le second. Nous allons voir Bacon se mettre du côté d’Avicébron.

La première série de questions sur la Physigue d’Aristote développe, à propos du premier livre de cet ouvrage, trois questions qui vont retenir notre attention. Ces questions sont ainsi libellées :

Quæritur hic de materia, primo utrum ipsa sit in spiritualibus.

Secundo quæritur utrum ipsa materia sit in cæleslibus.

Tertio quæritur utrum ipsa eadem materia cæleslium et genarabilium.

« Y a-t-il de la matière dans les créatures spirituelles ? » À ceux qui résolvent cette question par la négative, Bacon oppose les raisons suivantes[1], qui formulent tout uniment la doctrine même d’Avicébron :

« Toutes les choses qui participent à un certain même genre, participent au principe de ce genre. Mais la substance des êtres spirituels participe du genre substance ; elle participe donc aux deux principes de ce genre, c’est-à-dire à la matière et à la forme.

  1. Ms. cit., fol. col. b.