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LES QUESTIONS DE BACON

est, d’ailleurs, numériquement distincte en des choses différentes. C’est ce qu’une nouvelle question[1] se propose de nous apprendre.

La Cause première est en toutes choses, et elle y demeure une, non seulement d’unité essentielle, mais encore d’unité numérique ; Bacon, à ce sujet, cite la IXe maxime philosophique d’Alain de Lille : « La Cause première est une sphère dont le centre est partout et la circonférence nulle part ». Mais il n’en est pas de même pour la matière ; si la puissance passive de la matière est infinie, la substance ou essence en est finie ; elle ne saurait donc se retrouver simultanément en toutes choses, tout en gardant l’unité numérique.

La matière première a-t-elle une grandeur ? Est-elle affectée de dimensions ? Bacon examine ce problème[2].

À cette question, notre auteur semble vouloir répondre comme le traité De substantia orbis, car il recommande sa solution de l’autorité d’Averroès :

« Solution : Dans la matière, les dimensions peuvent être de deux façons, déterminées (terminatæ) ou indéterminées (interminatæ). Dans la matière première, il y a des dimensions indéterminées, mais point de dimensions déterminées ; on le voit par le Commentateur Averroès qui dit : Il y a, dans la matière première, des dimensions indéterminées, mais non pas de dimensions déterminées. »

Mais, après avoir donné cette solution, Bacon y fait des objections qui vont séparer grandement son sentiment de celui d’Averroès.

» Selon le septième livre de la Métaphysique, écrit-il, la substance doit, dans le temps et dans la connaissance aussi bien que par la définition, précéder faccident ; dans la matière, donc, il y a une forme substantielle avant qu’y existe aucune forme accidentelle. Partant, par dimensions indéterminées, vous entendez une forme substantielle soit en acte, soit en puissance ; mais, d’une manière ou d’une autre, il y a toujours là une forme substantielle.

« Je l’admets, et je dis qu’il n y a là aucune dimension, si ce n’est en puissance. Ce n’est pas ainsi, cependant, que l’entendent les défenseurs de cette thèse ; ils disent qu’il y a, en la matière, dimension superficielle et dimension linéaire. Je dis, toutefois,

  1. Quæritur utrum omnino et eadem numero sit materia in omnibus per essentiam. Ms. cit., loc. cit.
  2. Quæritur, cum materia serundum tempus formam non prœcedat, an habeat aliquam formam in se, et secundum se sit dimensionata et quanta. Ms. cit. fol. 84, col. d.