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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

nous ont paru représenter les plus anciennes leçons de Roger Bacon ; la seconde série de Questions sur la Physique d’Aristote leur est certainement postérieure. Adressons-nous donc à ces anciennes leçons et demandons-leur ce qu’il faut penser de la matière.

Parmi les questions sur le premier livre de la Métaphysique, nous en trouvons une[1] qui est ainsi libellée : « Quæritur utrum sit necessario poneer eeamdem materiam in omnibus per essentiam. — Est-il nécessaire d’admettre que la matière est essentiellement la même en toutes choses ? »

Le feu, dit Bacon, si on le considère dans son essence, peut être divisé en parties multiples, et, cependant, toutes ces parties sont de même essence. À plus forte raison en sera-t-il de même de l’essence de la matière, qui s’obtient en séparant la matière de toute forme ; cette essence de la matière pourra demeurer la même, tout en se subdivisant en autant de fragments qu’il y a de choses diverses. « Il y aura donc, en toutes choses, la même essence de la matière. »

À cette proposition, le Péripatétisme s’opposerait de tout son pouvoir ; de l’objection qu’il ferait, Bacon demande la formule à Boëce : « Les choses qui ont même matière peuvent se transformer les unes dans les autres ; mais il n’est pas vrai que toutes choses se puissent transformer les unes dans les autres. »

À cette objection, Bacon répond qu’elle est véritable si, « par même matière ou par même principe matériel, on entend ce principe qui est en puissance de quelque chose, ce principe prochain, et non pas éloigné, » Mais elle devient fausse si, « par même matière, on entend cette matière pure qui est l’essence et la substance de la matière. »

Par là, nous voyons que Bacon distingue deux matières premières.

L’une de ces matières est le sujet immédiat des générations et des transformations ; c’est la matière première des Péripatéticiens : cette matière-là n’est identique au sein de deux choses que si ces deux choses sont susceptibles de se transformer l’une en l’autre.

L’autre matière, beaucoup plus simple, pure de toute forme est la même en toutes choses. Cette « essence ou substance de la matière, » nous pouvons déjà deviner que c’est la matière première d’Avicébron ; nous en aurons bientôt la continuation.

Essentiellement une en toutes choses, cette matière première

  1. Bibliothèque municipale d’Amiens, ms. no 406 ? fol. 83, col. d.