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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

à ces formes aboutit, par l’action de la lumière, le divin artifice des moteurs et des vertus mouvantes des orbes. »

Qu’y a-t-il, dans cette description, qui ne répète l’enseignement, perpétuel depuis Aristote, du Péripatétisme et du Néo-platonisme ?

Pour ne prendre qu’un exemple, comparons le langage de Witelo à celui-ci, qui est de Robert Grosse-Teste[1] ;

« Saint Jacques dit, dans son Épître canonique : « Tout cadeau excellent, tout don parfait descend du Père des lumières, en qui il n’y a point de transmutation, en qui ne se voit pas l’ombre d’un changement. » Or, en certaines choses, cette descente se fait nécessairement d’une manière immédiate, mais en d’autres, d’une façon médiate. Bien que les philosophes n’aient pas la pleine intelligence des choses, ils doivent, cependant, n’en pas tout à fait ignorer la nature ; aussi savent-ils que les rayons des corps qui réside ni au-dessus des cieux, en descendant sur les choses corporelles d’ici-bas, y fournissent la plus puissante cause de changement ; ainsi disent-ils que les rayons réfléchis et rassemblés sont cause de la chaleur engendrée près de nous. »

Les pensées de Witelo font-elles autre chose que développer les pensées de Robert Grosse-Teste ?

Comme l’Évêque de Lincoln, l’Opticien polonais nomme[2] la lumière « la première des formes sensibles. » Mais il n’entend pas par là une corporéité qui conférerait des dimensions à la matière première, privée par elle-même de divisibilité. Ce sont, bien plutôt, les corps qui imposent à la lumière leurs propres dimensions[3] :

« Comme la lumière possède l’acte d’une forme corporelle, elle se rend égale aux dimensions des corps sur lesquels elle exerce son influence, elle s’étend de l’étendue même des corps qui la reçoivent. Cependant, elle ne doit jamais perdre de vue que sa vertu tire origine de la source à partir de laquelle elle se répand ; aussi prend-elle par accident la dimension suivant laquelle se compte la distance à cette source, dimension qui est la ligne droite ; et c’est ainsi qu’elle se rend digne du nom de rayon. »

Répétons-le, il n’y a rien là qui ne soit doctrine communément reçue au xiiie siècle, rien qu’un Thomas d’Aquin, par exemple, eût hésité à signer, rien enfin qui rappelle les pensées quelque peu insolites de Liber de Intelligentiis. Bien loin que la lecture du préambule du Περὶ Ὄπτικῆς justifie l’hypothèse de M. Rubczynski et

  1. Ruberti Linconiensis Tractatus de impressionibus elementorum ; éd. 1514, p. 9 col. b ; éd. Baur, p. 87.
  2. Opticœ thesaurus, t. II, p. 2. — Cl. Baeumker, Op. laud., p. 129.
  3. Opticœ thesaurus, t. II, p. 1. — Cl. Baeumker, Op. laud., p. 128.