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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

traité d’Optique intitulé Περὶ Ὄπτικῆς ou bien encore Perspectivæ libri decem.

À l’appui de cette identification, deux raisons sont invoquées.

En premier lieu, le préambule de la Perspectiva de Witelo exposerait, « au sujet de la nature et de l’importance de la lumière, des idées qui sont passablement singulières dans la littérature latine du Moyen Âge et qui se retrouveraient dans le Traité sur les Intelligences. »

En second lieu, dans ce même préambule[1], Witelo déclare à Guillaume de Moerbeke, auquel il dédie sa Perspective, que, pour rédiger cet ouvrage, il a délaissé un certain chapitre De l’ordre des êtres (De ordine entium) qu’il avait jadis commencé d’écrire. Le De Intelligentiis ne serait autre que ce De ordine entium inachevé.

Ces raisons ont été pleinement acceptées et longuement développées par M. Bäumker.

Examinons-les sommairement en commençant par la seconde.

Le Liber de Intelligentiis n’a point du tout l’allure d’une œuvre inachevée. L’auteur y traite très complètement tous les problèmes qu’on avait accoutumé de discuter, au Moyen Âge, au sujet des Intelligences, y compris le lieu et la durée de ces êtres. Il n’avait pas, d’ailleurs, l’intention de considérer d’autres substances que les Intelligences. « Nous nous sommes proposé, disait-il dans son préambule[2], de nous enquérir de la nature et des propriétés des substances séparées, en disant d’abord quelques mots de Celle dont nous n’avons pas, de nous-même, le droit de parler. »

Ce livre, où les seuls êtres dont il fût et dût être question sont le premier Principe et les Intelligences séparées, n’aurait pu, semble-t-il, recevoir, de son auteur, le titre de Traité de l’ordre des êtres. Que le Liber de Intelligentiis soit le livre inachevé dont Witelo parlait à Guillaume de Moerbeke, c’est fort peu vraisemblable.

La doctrine que, dans son préambule, l’opticien présente au sujet de la lumière ressemble-t-elle à celle que nous lisons au Liber de Intelligentiis ?

Witelo[3] distingue formellement deux lumières, une lumière divine (lumen divinum), dont l’action est tout intellectuelle, et une lumière sensible (lumen sensibile).

Au sujet de la première, il s’exprime en ces termes :

« Dans l’ordre des substances intellectuelles, chaque substance

  1. Opticœ thesaurus, t. II, p. 2. — Cl. Baeumker, Op. laud., p. 129.
  2. Cl. Baeumker, Op. laud., p. 1.
  3. Opticœ thesaurus, t. II, p. 1. — Cl. Baeumker, Op. laud., pp. 127-128.