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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

« Que la volonté[1] d’une Intelligence ne suffise pas, par elle-même, à mouvoir un corps, tandis que la volonté[2] de Dieu y suffit, cela se comprend de façon manifeste ; en effet, le pouvoir de l’Intelligence est borné, comme le dit la proposition suivante… Elle a été bornée par Dieu qui a créé toutes choses selon nombre, poids et mesure bien définis. En outre, comme le dit la même proposition, elle est bornée parce qu’aucun être créé n’est de pouvoir infini. »

Ces considérations méritaient quelques instants d’attention ; nous les verrons, en effet, dicter un des décrets qui seront portés, en 1277, par les théologiens de l’Université de Paris.

Comment devons-nous concevoir cette infusion, au sein du mobile, de cette substance qu’est l’intelligence motrice ? La faut-il assimiler à l’union que l’âme contracte avec un corps vivant ? Notre auteur, qui a certainement lu le Sermon de substantia orbis d’Averroès, nous met en garde contre cette pensée.

« Lorsqu’une Intelligence meut un corps, dit-il[3], la substance de cette Intelligence s’introduit dans ce corps d’une certaine façon. Mais lorsqu’elle s’y introduit, elle ne s’unit pas à lui comme le ferait un acte ; elle s’unit seulement à lui à la manière d’un moteur : car elle ne dépend pas du corps d’une manière essentielle comme en dépend une âme.

» Ils ont donc péché, ceux qui ont dit que le Ciel ou que chacun des corps célestes avait une âme, à moins que par âme, ils n’aient simplement entendu ce qui meut, et non ce qui confère la perfection ; mais cette façon de parler est insolite. »

À ces courtes réflexions sur les doctrines les moins communes du Liber de Intelligentiis, joignons quelques mots touchant ce qu’on a dit de l’auteur.

Des six textes manuscrits étudiés par M. Cl. Bäumker, quatre sont absolument anonymes. Un cinquième, conservé à la Bibliothèque d’Arras, porte cette en-tête[4] : Incipit liber alex de intelligentiis qui et intitulatur memoriale rerum difficilium. Un sixième, qui appartient au couvent de Lilienfeld[5], débute en ces termes : Incipit alanus de intelligentiis.

Que le Liber de Intelligentiis ne puisse être d’Alain de Lille, c’est certain ; il cite[6] Magister Alanus, et M. Bäumker en a fait

  1. Au lieu de : voluntas, le texte porte : Virtus.
  2. Au lieu de : voluntas, le texte porte : Virtus.
  3. Cl. Baeumker, Op. laud., p. 59.
  4. Cl. Baeumker, Op. laud., p. 73 et p. 247.
  5. Cl. Baeumker, ibid.
  6. Cl. Baeumker, Op. laud., p. 26.