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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

conférer éternellement l’existence à la chose contingente qui sera, elle aussi, éternelle.

Nous reconnaissons sans peine que ces deux doctrines inconciliables ont été brouillées ensemble par l’Auteur du Liber de Intelligentiis ; à des fragments de l’une il a cousu des lambeaux de l’autre.

Cette confusion entre les doctrines d’Aristote et d’Avicenne explique seule des propositions telles que celle-ci[1] :

« Bien que les Intelligences ne soient point composées de matière et de forme» elles sont cependant composées d’acte et de puissance.

» La matière et la forme, en effet, sont les principes des substances composées ; mais l’acte et La puissance se trouvent dans une substance simple qui est acte, encore que cet acte ne soit pas total et complet ; la puissance est donc, en elles, mêlée à l’acte, et elles ne sont pas tout acte ; partant, comme nous l’avons dit précédemment, elles ne sont pas de pouvoir infini ; en effet, ce qui est tout acte possède le plus haut degré de simplicité, et son pouvoir est infini. »

Dans la philosophie du Stagirite, les notions d’acte et de puissance entraînent d’une façon nécessaire les notions de forme et de matière ; si un être est en puissance de quelque chose, il contient en lui une matière qui correspond à cette puissance ; qu’un orbe céleste soit en puissance d’une position autre que celle où il se trouve en ce moment, cela suffit pour qu’il y ait en lui une certaine matière, une matière locale ; si les Intelligences sont formes pures, exemptes de toute matière, c’est parce qu’elles sont acte pur, qu’il n’y a en elles aucune puissance, qu’elles ne peinent, d’aucune manière, être autrement qu’elles ne sont, qu’elles sont immuables. Si Aristote eût regardé les Intelligences comme des êtres changeants, comme des êtres dont l’actualité se mêle de puissance, il y eût mis une matière.

Avicenne, à cet egard, ne pensait pas autrement qu’Aristote ; mais, au contraire du Stagirite, il ne tenait pas les Intelligences pour des êtres necessaires ; il les croyait contingentes ; alors, tout en les déclarant actes purs, formes pures, exemptes de toute puissance comme de toute matière, il y reconnaissait une distinction entre l’essence et l’existence.

Notre auteur a confondu la distinction entre l’essence et l’existence avec la distinction entre la puissance et l’acte ; c’est pour-

  1. C. Baeumker, Op. laud., p. 59.