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GUILLAUME, ALEXANDRE, ROBERT

tité que cette chose est en puissance, il est possible qu’elle ne soit pas quantité en acte ; et ainsi des autres genres.

» En quelque genre, donc, qu’une chose soit en puissance, il est possible qu’elle ne soit pas ce dont elle est on puissance, attendu que ce qui est en puissance ne tient pas son existence de soi, mais d’autrui (propterea quod id quod est in potentia de se non habet esse, sed ab alio). Partant, donc, comme il n’y a pas de milieu entre être et ne pas être (cum inter esse et non esse non sit medium), cette chose aura, de soi, puissance au non-être (ad non esse). Partant. ce qui est en puissance possède, par soi, la possibilité de ne pas être un être (ut non sit ens). »

Arrêtons-nous un instant à ce passage. Il est un remarquable exemple de la confusion qu’engendrait, dans la raison de maint philosophe du Moyen-Âge, la lecture simultanée d’Aristote et d’Avicenne.

Aristote, en toute chose susceptible de changement, distinguait l’acte de la puissance. Avicenne, en toute chose contingente, distinguait l’essence ou quiddité que la chose a par elle-même de l’existence que la chose tient d’autrui. C’étaient doux distinctions absolument différentes, absolument irréductibles l’une à l’autre. Notre auteur, et bien d’autres avec lui ou après lui, les mêlent et les brouillent ; ils produisent ainsi un malentendu qui rendra trop souvent obscure et vaine mainte discussion de l’École.

Cette confusion se montre ici à plein dans cette formule ; « Ce qui est en puissance ne tient pas son existence de soi, mais d’autrui. » Une chose qui ne tient pas son existence de soi, mais d’autrui, c’est, pour Avicenne, une chose dont l’existence est distincte de l’essence. Pour Aristote, c’est un non-sens ; aucune chose ne tient l’existence d’autrui ; il n’y a pas de cause capable de conférer l’existence, de cause créatrice ; il y a seulement des causes capables de faire passer de l’existence en puissance à l’existence en acte, car entre être en acte et ne pas être, il y a ce milieu : Être en puissance.

Au gré d’Aristote, un être éternel, c’est même chose qu’un être nécessaire ; si une chose est éternelle, il n’arrive jamais qu’elle ne soit pas, il ne peut pas se faire qu’elle ne soit pas, elle est nécessaire ; être où l’acte n’est mélangé d’aucune puissance, être éternel, être nécessaire, pour le Stagirite, c’est tout un, et il l’affirme maintes fois.

Pour Avicenne, une chose contingente tient son existence d’une cause créatrice ; mais si la cause créatrice est éternelle, elle pourra