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AVICÉBRON

» Si les âmes particulières ont un tel désir, il faut aussi que l’Âme universelle éprouve un désir semblable.

» Il en faut dire autant de la Matière universelle[1], de la Substance qui soutient les prédicaments ; cette Matière se meut afin de recevoir les qualités primaires, puis la forme minérale, puis, successivement, la forme végétative, la forme sensitive, la forme rationnelle, la forme intelligible, jusqu’à ce qu’elle soit conjointe à la forme de l’Intelligence universelle… Il faut donc, d’après cela, que la Matière première désire recevoir la Forme première et acquière ainsi ce bien qui est l’existence.

» Il en faut dire autant de tout ce qui est composé de matière et de forme ; ce qui est imparfait, parmi les choses ayant matière et forme, se meut pour recevoir la forme de ce qui est parfait. »

Cette tendance de la Matière vers la Forme, ce mouvement de l’être imparfait vers ce qui lui peut assurer la perfection, la Théologie d’Aristote, en les affirmant, demeurait fidèle aux doctrines authentiques du Stagirite ; ce qu’elle avait emprunté à ces doctrines, les Néo-platoniciens arabes de l’École d’Avicenne Rivaient volontiers reçu ; nous ne saurions être surpris que Salomon ben Gabirol l’ait également accepté.

Mais au mouvement de la Matière vers la Forme, enseigné par la doctrine péripatéticienne, la Théologie d’Aristote avait adjoint un mouvement opposé que le Stagirite n’eût point admis ; Avicenne, et Al Gazâli après lui, se sont attachés à démontrer que la Forme ne pouvait tendre vers la Matière, que ce qui est parfait ne pouvait désirer le bien de ce qui est imparfait.

Or, en ce point, Avicébron adopte certainement le parti tenu par la Théologie d’Aristote ; pour exprimer l’avis proposé par cette Théologie, il lui emprunte ses propres formules, celles-là précisément que contredisent les réfutations d’Avicenne.

« Toute substance simple, dit Ibn Gabirol[2], désire que ce qu’elle possède en puissance passe à l’acte (substantia simplex appetit quod habet in potentia exire in effectum). »

« Le Créateur, dit-il[3], encore est généreux de ce qu’il possède, car tout ce qui existe émane de lui… Il est nécessaire que toutes les substances qui existent obéissent à son action et qu’elles le secondent en donnant leurs formes, en faisant largesse des forces qui sont on elles, toutes les fois qu’elles rencontrent une matière préparée à recevoir ce qu’elles peuvent conférer. Le flux qui

  1. Au lieu de : universalis, le texte dit : naturalis.
  2. Avencebrolis Fons vitæ, Tract. III, cap. 20. p. 127.
  3. Avencebrolis Fons vitæ, Tract. III, cap. 13. pp. 107-108.