Page:Duhem - Le Système du Monde, tome V.djvu/369

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
363
GUILLAUME, ALEXANDRE, ROBERT

élémentaires, la seconde de la forme corporelle qui leur est commune ; la première, cherchant sa perfection spéciale, pressait les corps graves de monter, les corps légers de descendre ; la seconde, constamment en quête de la perfection totale de l’Univers, pouvait imposer aux divers corps des mouvements contraires aux mouvements naturels définis par la Physique péripatéticienne ; elle pouvait, par exemple, faire monter un corps grave pour empêcher la production d’une espace vide.

Cette Nature universelle, dont nous aurons souvent à parler lorsque nous étudierons la Physique parisienne, est celle à laquelle songe le Liber de Intelligentiis lorsqu’il s’enquiert de la perfection de chaque substance considérée comme partie de l’Univers ; mais tandis que Bacon regarde cette Nature universelle comme une suite de la première forme corporelle, notre auteur la met sous la dépendance de la lumière ; n’est-ce pas ce qu’eût fait un disciple de Robert Grosse-Teste pour qui la corporéité est identique à la lumière ?

Selon Roger Bacon, c’est en vertu de la Nature universelle que chacun de ces corps, l’essence céleste, le feu, l’air, l’eau, la terre, constitue le lieu propre du corps suivant ; pour le Liber de Intelligentiis, cz sera en vertu de la lumière.

« C’est par la nature de la lumière, dit-il[1], que chacun des cinq premiers corps est lieu et forme pour le corps qui se trouve au-dessous de lui…

» La partie ultime du ciel est lieu ; mais elle l’est en vertu de la nature de la lumière. En effet, puisque cette partie ultime est lieu, c’est qu’elle a la propriété de contenir et de conserver. Mais si elle contient, c’est parce qu’elle joue le rôle d’une enveloppe (ambitus), et si elle enveloppe, c’est en vertu de la simplicité de la lumière. Tout corps simple a droit a une certaine étendue ; l’eau a droit à s’étendre plus que la terre, l’air à s’étendre plus que l’eau, parce qu’il est plus simple ; le feu, à son tour, doit avoir plus d’étendue que l’air, et le cinquième corps plus que tous les autres ; de deux corps, le plus subtil est, à l’égard du plus grossier, dans un rapport multiple[2]. Or, parmi tous les corps, la lumière est le plus simple et le plus subtil ; elle a donc droit à une étendue déterminée, et cette étendue doit être la plus grande.

  1. C. Baeumker, Op. laud., pp. 10-11.
  2. In multiplici analogia. Par ce langage obscur, le Liber de Intelligentiis fait allusion à cette théorie très répandue au Moyen Âge : Les volumes occupés par les corps élémentaires croissent en progression géométrique. Nombre d’auteurs tiennent que chaque élément est dix fois plus volumineux que l’élément plus dense et plus grossier qu’il entoure » Nous aurons plus tard à étudier en détail ces théories.