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GUILLAUME, ALEXANDRE, ROBERT

leur avis, celle qui ressemble le plus aux formes immuables et séparées. Or, parmi les choses corporelles, la lumière est celle dont l’essence est la plus digne, la plus noble, la plus excellente ; plus que tous les corps, elle ressemble à ces formes immuables et séparées que sont les Intelligences. La lumière est donc la première forme corporelle. »

Mise au premier rang dans la hiérarchie des formes corporelles, la lumière est, plus que toute autre, voisine des Intelligences ; mais elle n’est pas une Intelligence, une forme séparée ; Grosse-Teste ne cesse de répéter que la lumière ne peut délaisser la matière première, que la matière première ne peut être dépouillée de sa corporéité qui est la lumière ; la lumière est donc, pour l’Évêque de Lincoln, la plus parfaite des formes corporelles, mais elle demeure une forme corporelle.

Faire de la lumière une forme séparée, l’identifier aux Intelligences, déclarer que les Intelligences sont des lumières, pousser plus loin encore et poser en principe que la lumière pure, c’est Dieu, c’est ce qu’osa faire l’auteur inconnu du Liber de Intelligentiis.

M. Clemens Bäumker a publié[1] le Liber de Intelligentiis ; après en avoir fait une étude fort longue et fort détaillée, il a proposé de l’attribuer à Witelo ou Witek, bien connu par son traité d’Optique.

Indiquons sommairement, tout d’abord, ce que la doctrine de ce traité présente de particulièrement nouveau ; nous dirons quelques mots ensuite de son attribution à Witelo.

La série des causes ne peut remonter à l’infini, en sorte que n’importe quel effet requiert l’existence d’une Cause première ; l’unité est le principe de toute multitude, et toute multitude doit se ramener à l’unité ; l’existence de plusieurs êtres absolument complets est impossible. Ces diverses propositions conduisent notre auteur à formuler[2] cette vérité : « Il existe, de toutes choses, un premier Principe unique et complet. »

Ce point acquis, le Liber de Intelligentiis pose les thèses suivantes[3] :

« La première des substances, c’est la lumière.

» Il en résulte que toutes les autres choses participent de la nature de la lumière. »

  1. Clemens Baeumker, Witelo, ein Philosoph und Naturforscher des XIII. Jahrhunderts. (Beiträge Geschichte der Philosophie des Mittelalters, Bd. III, Heft 2, Münster, 1908).
  2. Cl. Baeumker, Op. laud., pp. 1-6.
  3. Cl. Baeumker, Op. laud., p. 8.