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GUILLAUME, ALEXANDRE, ROBERT

suivant trois dimensions. Or, considérées en elles-mêmes, cette corporéité et la matière sont, toutes deux, des substances simples, privées de toute dimension. Comment donc cette forme, simple en elle-même et privée de toute dimension, a-t-elle pu s’introduire en tout sens dans une matière également simple et privée de dimension ? Il a fallu que cette forme se propageât elle-même, qu’elle se répandit instantanément en tous sens et que, par sa diffusion même, elle étendit la matière ; cette forme, en effet, ne peut délaisser la matière, car elle n‘en est pas séparable, et la matière ne peut, non plus, être dépouillée de la forme. Il a fallu que cette forme fût la lumière, comme je l’ai proposé.

» Se propager soi-même, en effet, se répandre immédiatement en tout sens, c’est l’opération propre de la lumière. Partant, toute chose qui accomplit une telle œuvre, ou bien est lumière, ou bien accomplit cette œuvre en tant qu’elle participe de la lumière, tandis que la lumière l’accomplit par elle-même. Ou bien donc la corporéité est la lumière même, ou bien, lorsqu’elle accomplit cette œuvre, lorsqu’elle introduit les dimensions dans la matière, elle le fait parce qu’elle participe de la lumière, elle agit en vertu de la lumière. Mais lorsque la première forme introduit des dimensions dans la matière, il n’est pas possible que ce soit en vertu d’une forme qui viendrait à sa suite. La lumière n’est donc pas une forme qui vienne à la suite de la corporéité ; elle est la corporéité même. »

Ainsi la lumière, forme première, d’abord inétendue, se répand instantanément en tous sens ; elle entraîne, pour ainsi dire, la matière primitivement inétendue qui lui est invariablement liée, elle lui impose sa propre dilatation, elle lui confère l’étendue qu’elle se donne à elle-même.

Cette lumière n’est pas seulement la corporéité, la première forme dont l’union avec la matière première engendre tout corps ; elle est encore la cause de tous les mouvements dont les corps sont le siège.

« La première forme corporelle est, dis-je[1], le premier principe du mouvement des corps (primum motivum corporale). Or cette forme, c’est la lumière.

» Quand elle se propage et se répand en divers sens sans mouvoir avec elle la matière corporelle, son passage au travers du milieu diaphane est instantané ; il n’est pas mouvement, mais changement brusque (mutatio).

  1. Ruberto Liconiensis Tractatus de motu corporali et luce ; éd. 1514, fol. 9. col. d ; éd. Baur, p. 92.