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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

âmes et des intelligences, l’opinion du Rabbin de Malaga ? Rien, dans les écrits d’authenticité certaine de Robert, ne fait allusion à cette opinion, soit pour l’approuver, soit pour la combattre. Il en est formellement question dans un traité De l’âme que les manuscrits attribuent à l’Évêque de Lincoln, mais que de sérieuses raisons conseillent de tenir pour apocryphe[1].

Certains, lisons-nous dans ce traité[2], concèdent que l’âme est composée de matière spirituelle et de forme spirituelle ; il en serait de même de l’ange. L’enseignement de Saint Augustin conduit à rejeter cette proposition. « À l’argument qu’on tire de Boëce en faveur de cette opinion, nous répondons : En Dieu, tout le quod est est identique, en réalité et dans la raison, au quo est ; mais dans une âme ou dans un ange, le quod est et le quo est, identiques dans la réalité, ne le sont pas pour la raison ; l’âme, en effet, admet une composition extrinsèque que Dieu n’admet pas. »


H. — L’identité de la lumière et de la forme corporelle.


Venons aux substances corporelles ; c’est à leur endroit que Robert Grosse-Teste conçoit, peut-être, sa théorie la plus originale et la plus singulière.

Comme Avicenne, comme Al Gazâli, comme Avicébron, l’Évêque de Lincoln admet que tous les corps ont une forme commune ; cette corporéité s’unit à la matière première avant que surviennent les formes substantielles, déjà plus particulières, des éléments. Avec Avicenne, avec Al Gazâli, il juge que cette première forme confère à la matière première les dimensions indéterminées, la capacité de subir une division à l’infini ; mais, et c’est par là qu’il innove, il identifie cette forme corporelle avec la lumière.

« Cette forme première que certains nomment corporéité, dit-il[3], c’est, je pense, la lumière.

» La lumière, en effet, se répand d’elle-même en tous sens, en sorte qu’à partir du point lumineux, une sphère de lumière aussi grande que vous voudrez se trouve subitement engendrée, à moins qu’un corps opaque n’y mette obstacle. Quant à la corporéité, c’est ce qui a pour conséquence nécessaire l’extension de la matière

  1. L. Baur, Op. laud., p. 120.
  2. Tractatus beati Roberti Grosteste Lincolniensis episcopi de anima, I. Solutio ; éd. Baur, p. 243.
  3. Ruberti Lincolniensis Tractatus de inchoatieve formarum : éd. 1514, fol. II, col. d ; éd. Baur, pp. 51-52.