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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

Ainsi cette proposition : L’homme est un animal composé d’une âme et d’un corps, est éternellement vraie ; elle demeurerait vraie lors même qu’aucun homme n’existerait dans la réalité, parce qu’elle est conforme avec la raison, avec l’idée de l’homme telle que la conçoit le Verbe de Dieu. Telle est la solution, toute pénétrée d’Augustinisme, que Robert de Lincoln substitue aux deux solutions platonicienne et péripatéticienne.


F. — Les moteurs des cieux.


Le Verbe de Dieu est le modèle unique de toutes les créatures. Voyons donc qu’elles sont, à l’égard des créatures, les doctrines les plus originales de Robert Grosse-Teste : rapportons, tout d’abord, ce qu’il enseigne au sujet des moteurs des cieux.

L’enseignement qu’il formule se donne pour une traduction de ce qu’Aristote a professé au huitième livre de la Physique, au Traité du Ciel, enfin au onzième livre de la Métaphysique ; voici comment l’auteur le résume[1] :

« Le moteur d’un ciel se compose, en vérité, de deux moteurs : l’un de ces moteurs est une âme qui existe dans ce ciel ; l’autre est une certaine Vertu qui n’existe pas dans une matière.

» Ce Moteur, qui est une Vertu ne résidant pas dans une matière, est unique ; il meut, pendant une durée infinie, d’un mouvement uniforme et toujours de même sens ; les autres moteurs, qui sont des âmes, sont multiples et leur nombre est le même que celui des mobiles et de leurs mouvements.

» C’est pour cela qu’Aristote dit, au XIIe livre[2] de la Métaphysique, que le moyen de compter les substances motrices nous est fourni par le nombre des corps mis en mouvement ; il entend parler des moteurs conjoints, non du Moteur séparé.

» En tant que les corps célestes ont en commun la propriété d’être mûs par une Vertu motrice ne résidant pas dans une matière, ils possèdent tous un mouvement perpétuel, uniforme et continuellement de même sens ; la fin de ce mouvement n’est pas dans le temps.

» En tant que chacun d’eux est mû par un moteur qui est une âme, comme ces moteurs sont multiples, les mouvements des cieux sont, eux aussi, divers et multiples. Ce moteur, est, en effet. de puissance motrice (motio) finie ; c’est une substance perpé-

  1. Ruberti Linconiensis Tractatus de motu supercelestium ; éd 1514, fol. 13, col. d, et fol. 14, col. a ; Baur, p. 100.
  2. Aujourd'hui le XIe