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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

signe : Aucune des choses qui existent ne désire devenir multiple, mais toutes les choses désirent se réunir, devenir une seule chose ; toutes les choses, donc, désirent l’unité.

» — À quel signe reconnaît-on que le mouvement de la Matière et des autres substances est désir et amour ?

» — À quoi tendent le désir et l’amour ? Ils recherchent l’application à l’objet aime et l’union avec lui ; de même, la Matière recherche sa propre application à la Forme, ; il faut donc que son mouvement soit causé par l’amour et le désir qu’elle éprouve pour la Forme. Il en faut dire autant de toute chose qui se meut pour rechercher la forme. »

À cette doctrine, le disciple d Avicébron oppose une spécieuse objection[1] : Comment cela se peut-il faire ? Pour que la Matière, désireuse de prendre part au Bien, se meuve à la recherche de la Forme qui le lui doit procurer, « il faut que la Matière connaisse ce qu’elle cherche. Mais nous avons dit précédemment que la Forme seule conférait la science à la Matière ».

À cela, le Maître répond : Ce premier désir de la Forme qu’elle doit acquérir, il est communiqué à la Matière par le Créateur : « Comme la Matière est voisine de l’Unité, elle est poussée par l’Un à recevoir de lui une lumière et un désir, lumière et désir par lesquels elle se meuve vers l’Un, par lesquels elle le souhaite, afin de passer du non-être à l’être et de recevoir sa perfection. »

Ce désir de la Forme se trouve en toute substance[2] ; mais, par suite de leur distance plus ou moins grande à l’Un qui provoque ce désir, les divers substances l’éprouvent à des degrés divers et sous des aspects divers : chacune d’elles désire les formes qui conviennent à sa nature : « Chaque hyle particulière désire une forme particulière ; ainsi les hyle diverses des végétaux et des animaux se meuvent, en la génération, pour recevoir les formes diverses des végétaux et des animaux… De même, l’Âme sensitive désire les formes qui lui conviennent et qui sont les formes sensibles. De même, encore, l’Âme rationnelle désire les formes intelligibles ; en effet, l’Âme rationnelle, alors qu’on la nomme le premier Intellect, est dans un état initial semblable à celui de la Hyle préparée à recevoir la Forme ; mais lorsqu’elle a reçu la forme de l’Intelligence universelle, qui est le troisième Intellect, lorsqu’elle est devenue intelligence, elle se trouve prête à agir ; on la nomme alors second Intellect.

  1. Avencebrolis Fons vitæ, Tract. V, cap. 33. pp. 318-319.
  2. Avencebrolis Fons vitæ, Tract. V, cap. 34. p. 319.