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GUILLAUME, ALEXANDRE, ROBERT

que le Verbe de Dieu tout puissant est la forme de toutes les créatures : tout à la fois, en effet, il en est l’exemplaire, La cause efficiente, l’agent qui leur confère la forme, celui qui les conserve en la forme qu’il leur a donnée… Que, dans ce sens, Dieu soit la forme des créatures, les textes autorisés de Saint Augustin le montrent assez. »

Lors donc que l’Évêque de Lincoln formule cette proposition : Dieu est la forme unique de toutes les choses créées, il ne l’entend pas dans le sens où Avicébron la formulait ; ce qu’il prétend affirmer, c’est ce qu’affirmaient ses contemporains Guillaume d’Auvergne et Alexandre de Hales ; c’est que les idées ne forment pas un Monde éternel, créé par Dieu, distinct de Dieu comme du Monde sensible ; de toutes les créatures, il existe un modèle idéal unique ; ce modèle incréé, c’est le Verbe de Dieu, qui est Dieu ; et pour affirmer cette théorie de Saint Augustin, il reprend le langage même de Jean Scot Érigène, car celui-ci disait[1] : « Toute forme… est créée par la Forme de toutes choses, par le Verbe Fils unique du Père. »

Cette doctrine augustinienne lui donne une réponse à cette question, posée au Commentaire sur les Seconds Analytiques. Comment, d’êtres périssables, peut-il y avoir une science éternellement vraie ?

Qu’est-ce, en effet, que la vérité ?

De toute éternité[2] les choses créées sont dites par le Verbe de Dieu. « Partant, dans les choses que dit cet éternel Discours, la vérité, c’est la conformité au Discours qui les dit. Cette conformité des choses à cet Énoncé éternel, c’est la rectitude de ces choses, c’est, pour elles, le devoir d’être ce qu’elles sont… La vérité des choses consiste donc à être comme elles doivent être ; leur rectitude, c’est leur conformité au Verbe qui les dit éternellement…

» La vérité, c’est la privation de tout défaut ou la plénitude de l’essence (plénitudo essendi) ; un arbre est vraiment un arbre lorsqu’il a l’essence de l’arbre dans sa plénitude, qu’il est exempt de tout défaut d’essence de l’arbre ; or cette plénitude d’essence, qu’est-ce, sinon la conformité avec la raison de l’arbre qui réside au sein du Verbe éternel ? »

  1. Joannis Scoti Erigenæ De division Naturœ lib. I, cap. 59 [Joannis Scoti Opera. Accurante J. P. Migoe (Patrologiæ Latinæ. t. CXXII) coll. 501-502].
  2. Ruberti Linconiensis Tractatus de veritate ; éd. 1514, fol. 8, col. b : éd. Baur, pp. 134-135.