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GUILLAUME, ALEXANDRE, ROBERT

science est éternelle, d’une part, parce que ses fondements, ses hypothèses sont des raisons éternelles, images, en l’Âme du Monde, des idées conçues par le Démiurge ; elle est éternelle, d’autre part, parce qu’elle trouve toujours, pour leur appliquer ces principes éternels, des choses périssables de même espèce.

Robert Grosse-Teste, assurément, n’a pas lu Syrianus ; mais la lecture d’autres auteurs, ses propres méditations, la tradition des Réalistes du Moyen Âge, l’ont conduit à donner, de la perpétuité d’une science qui étudie les choses périssables, la même explication que le maître de Proclus. Par lui, cette explication devint universellement connue.

Nous comprenons maintenant comment cette question : « L’espèce a-t-elle une existence essentielle distincte et indépendante de l’existence actuelle des individus ? » a pu, au xiiie siècle, prendre la forme suivante : « Peut-il y avoir, de la neige, une science véritable qui subsisterait lors même que toute neige serait fondue ? » Ou bien encore cette autre forme : « Cette proposition : L’homme est un être animé, demeurerait-elle vraie lors même qu’il n’existerait aucun homme ? » Quand nous étudierons Siger de Brabant, nous reparlerons de cette forme prise par le problème des universaux.


E. — Le Verbe, forme unique des créatures.


Entre deux explications de la perpétuité de l’espèce, l’une platonicienne, l’autre péripatéticienne mais, toutes deux, également païennes, l’Évêque de Lincoln, dans son Commentaire aux Seconds Analytiques, nous a laissés en suspens ; ce n’est pas qu’il hésitât entre ces deux théories, mais bien parce qu’il leur en voulait substituer une troisième, qui fût chrétienne.

Un opuscule de Robert Grosse-Teste, écrit à Adam Red ou le Roux (Adam Rufus), débute en ces termes[1] :

« Votre très affectueuse dilection m’a demandé de vous écrire ce que je pense de cette parole : Dieu est la première forme et la forme de toutes choses ; je l’ai fait comme je pouvais et non comme je voulais ; à l’ami qui m’adressait une prière, j’ai mieux aimé donner le peu que j’avais que de paraître refuser les grands biens dont il me croyait possesseur. »

« Deus est prima forma et forma omnium.» Cette formule résume

  1. Ruberti Lincoliensis Tractatus de unica forma omnium ; éd. 1514, fol. 6, col. a ; éd. Baur, pp. 106-107.