Page:Duhem - Le Système du Monde, tome V.djvu/356

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
350
LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

À cela, Syrianus répond en ces termes[1] :

« Quelle nécessité y a-t-il à ce que les sciences[2] qui ont des choses périssables pour objets soient anéanties en même temps que ces choses-là se trouvent détruites ? Autant vaudrait dire que les définitions des choses périssables sont anéanties en même temps que les choses définies. Mais, me semble-t-il, puisque l’idée demeure sauve, alors même que chacun des individus singuliers est destiné à périr, il est nécessaire que la définition demeure sauve, soit qu’il se trouve quelqu’un pour l’énoncer, soit qu’il n’y ait personne pour la formuler. On en doit dire autant des sciences [des choses périssables] ; bien qu’elles s’occupent d’objets qui sont susceptibles de périr, elles demeurent sauvés, cependant, car elles prennent leur appui dans les raisons universelles ; comme ces raisons nous sont présentées par les âmes [éternelles des choses] soumises à la génération, les sciences en question demeureront nécessairement, elles aussi. »

Les raisons universelles (οἱ καθόλου λόγοι) dont Syrianus parle ici, ce ne sont point les idées qui ont leur séjour en l’intelligence du Démiurge ; ce sont les images de ces idées, images qui résident en l’Âme du Monde et dans les âmes universelles.

« S’occuper de choses périssables, exercer son action sur des choses périssables, poursuit Syrianus, ce n’est pas la même chose que résider dans une chose périssable. Ce qui réside dans une chose périssable se trouve forcément détruit en entier en même temps que la chose qui lui sert de support. Mais ce qui exerce son action sur une chose périssable n’est pas nécessairement anéanti ou oisif après que l’objet de son action a péri ; cette action, il pourra l’exercer à nouveau sur tout objet de même espèce (ὁμοειδές) que celui qui a péri, puisqu’il tire sa force d’une raison universelle. »

Syrianus, pour assurer la perpétuité de la science qui porte sur des objets périssables, admet à la fois les deux suppositions entre lesquelles Robert de Lincoln devait, plus tard, hésiter. La

  1. Syriani Antiquissimi interpretis In II, XII et XIII Aristotelis libros Metaphysices Commentarius, a Hieronymo Bagolino, prœstantissimo philosopho, latinitate donatus. In Academia Veneta, MDLVIII. Lib. II, fol. 20. — Scholia in Aristotelem. Supplementum p. 851, col. a. (Aristotelis Opera. Edidit Academia Regia Borussica. Volumen quintum. Aristotelis qui ferebuntur librorum fragmenta. Scholiorum in Aristotelem supplementum. Index Aristotelicus. Berolini, 1870).
  2. À une telle science, Syrianus donne le nom de τέχνη pour la distinguer de la science véritable, ἐπιστήμη qui porte sur des objets matériels et impérissables.