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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

» En effet, telle espèce qui, en certaines régions, est détruite pendant l’hiver, se trouve conservée en d’autres lieux où règne une température plus douce ; il n’y a point d’heure, au cours des temps, où l’on ne rencontre, en quelque endroit de la terre, la température et les conditions climatériques qui conviennent à la génération et à la perfection de cette espèce. Or l’ensemble de l’Univers ne peut être parfait que si toutes ses parties subsistent. Il est donc vraisemblable que toute espèce demeure à tout instant ; sinon l’Univers serait tantôt complet et tantôt frappé de diminution. »

Elle est bien surprenante, cette page tracée par la plume de l’Évêque de Lincoln et qui pourrait être signée du nom d’Avicenne, cette page où se formule, avec une si précise clarté, l’enseignement des Néo-platoniciens hellènes et arabes au sujet du Νοῦς, de l’Intelligence du Premier créé. Nous avons quelque peine à croire qu’elle représente la véritable pensée de Robert Grosse-Teste ; nous soupçonnons qu’il a seulement voulu résumer la doctrine des philosophes sans lui donner son adhésion, et, bientôt nous en aurons, l’assurance. Mais ne nous arrêtons pas à relever toutes les traces profondes que le Néo-platonisme a laissées dans ce discours ; portons seulement notre attention sur les passages qui le terminent et qui, seuls, sont destinés à commenter le texte d’Aristote.

Une science véritable, au gré d’Aristote, se compose uniquement de conclusions éternellement vraies ; un ensemble de propositions qui seraient vraies seulement à certaines époques, en certaines circonstances, ne serait point une science.

Dès lors, une science des choses qui ne sont pas éternelles, qui s’engendrent et périssent tour à tour, est-elle possible ? Peut-il y avoir, par exemple, une Météorologie ou bien une Botanique ?

Pour qu’il puisse y avoir science véritable de choses périssables, il faut que les conclusions dont cette science se compose demeurent éternellement vraies ; il faut donc que ces conclusions ne portent pas sur des individus, car ceux-ci ne durent qu’un temps, mais sur des genres et sur des espèces perpétuels.

Cette loi, par exemple : La neige, en fondant, donne de l’eau, ne peut faire partie d’une véritable science météorologique si elle n’est toujours vraie. Or elle ne serait pas toujours vraie si elle portait seulement sur telle neige individuelle, qui durera autant que l’hiver et qui, au printemps prochain, aura disparu. Il faut donc, pour qu’elle puisse servir à construire une Météorologie, qu’elle porte sur la neige et sur l’eau en général, sur l’espèce