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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

existence en puissance, et c’est celle qu’elles possèdent dans l’abstraction. J’entends qu’elles ont acte et puissance au sens ou nous disons que les formes des œuvres humaines ont une existence en acte dans la matière et une existence en puissance dans la pensée de l’artisan : de même, ces formes naturelles existent d’une double existence, d’une existence dans l’abstraction (esse abstractum), qui est une existence en puissance, et d’une existence dans la matière (esse materiale), qui est une existence en acte. »


C. L existence en puissance.


Les mots : existence en puissance, prennent ici un sens fort éloigné de celui que leur donne la philosophie péripatéticienne, mais très voisin de celui que leur donne Avicébron. Robert a pris soin de préciser la signification qu’il leur attribue.

« Lorsqu’on dit qu’une chose existe en puissance, écrit-il[1], il peut arriver qu’on entende seulement la puissance de la cause efficiente ; il peut arriver aussi qu’on entende la puissance de la cause efficiente et quelque chose de plus.

» Supposons qu’il existe une cause efficiente telle que toutes les autres causes de la chose considérée en puissent provenir ; alors, avant même que ces autres causes soient, on dit que la chose existe en puissance. Par exemple, il fut vrai de toute éternité que toute créature existait en puissance ; toute créature, en effet, existait dans la puissance d’une Cause efficiente capable de produire toutes les autres causes des créatures.

» Supposons, au contraire, qu’il n’existe pas une cause efficiente telle qu’en puissent provenir toutes les autres causes de l’objet considéré ; alors, sous ce nom de puissance, il faut nécessairement comprendre, en même temps que la cause efficiente, les autres causes qui n’en sauraient provenir, mais qui, jointes à la cause efficiente, rendront possible l’achèvement de l’objet considéré.

» Imaginons, par exemple, qu’un architecte existe, mais que la nature ne lui fournisse pas de matière propre à construire une maison ; comme l’architecte ne se peut faire une semblable matière, on ne dirait pas que la maison existe en puissance. De même, si la matière existait, mais si l’existence d’un architecte n’était point possible, on ne dirait pas que la maison existe en puissance. Donc, dire d’une chose qu’elle existe en puissance, c’est dire qu’elle existe dans sa cause et que cette cause la peut conduire à son achèvement. »

  1. Ruberti Linconiensis Tractatus de potentia et actu ; Baur, p. 127.