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AVICÉBRON


III
LA THÉORIE DU VERBE OU DE LA VOLONTÉ

Si la théorie des substances spirituelles, intermédiaires entre bien et la Matière universelle, imite, à n’en pas douter, le Livre des Causes, c’est l’apocryphe Théologie d’Aristote qui semble inspirer à Ibn Gabirol au moins une part de sa théorie du Verbe ou de la Volonté. C’est donc de cette Théologie qu’il tient, du moins en partie, ce qui apparente sa philosophie au Christianisme, ce qui l’a fait accueillir avec une si grande faveur par les maîtres de la Scolastique latine, ce qui l’a fait prendre pour un chrétien par plusieurs d’entre eux : en effet, par l’intermédiaire du traité faussement mis au compte d’Aristote, la Source de Vie s’éclairait d’un rayon emprunté aux doctrines de Denys, le faux Aréopagite.

« La Matière[1] se meut afin de recevoir la Forme. Du mouvement par lequel la Matière terni à recevoir la Forme et de l’application de la Forme en la Matière, nous trouvons un exemple dans le mouvement de l’âme qui, privée de quelque science, recherche cette science et s’efforce de la recevoir : lorsqu’ensuite la forme de cette science est devenue accessible à l’âme, lorsque cette forme existe dans cette âme, celle-ci est savante, c’est-à-dire qu’elle porte en elle la forme de cette science. De même, lorsque la Forme a eu accès dans la Matière, la Matière se trouve informée par elle, elle soutient la Forme.

» — Quelle est donc la cause qui pousse la Matière à se mouvoir pour recevoir la Forme ?

» — Cette cause, c’est le désir qu’a la Matière de jouir du bien et de la délectation qu’elle éprouve en recevant la Forme. Il en faut dire autant du mouvement de toutes les substances ; toutes les substances, en effet, se meuvent vers l’Un, à cause de l’Un, et cela, parce que tout ce qui existe désire se mouvoir afin de conquérir quelque chose du bien du premier Être (bonitas primi esse)… Le mouvement de tout mobile n’a d’autre objet que de recevoir la forme, forme qui n’est pas autre chose que l’impression produite par l’un : or l’Un, c’est le Bien ; donc aucune chose ne se meut sinon en vue du Bien, qui est l’Un. En voici un

  1. Avencebrolis Fons vitæ, Tract. V, cap. 32. pp. 316-317.