Monde sensible ; la réponse que nous venons de lire n’est qu’une réponse ad hominem ; il faudrait bien se garder d’attribuer à l’auteur, sans plus ample informé, la théorie purement platonicienne qu’on serait peut-être tenté d’y reconnaître.
En réalité, Alexandre de Hales ne croit pas du tout à l’existence d’un Monde idéal éternel, distinct de Dieu, bien que créé par Dieu ; il partage pleinement la pensée que Jean Scot, que Guillaume d’Auvergne exprimaient avec tant de force et de clarté.
Comme Guillaume, Alexandre invoque[1] cette parole de Saint Augustin dans le livre De la Trinité : « Dieu même est l’art suprême de toutes choses, des choses vivantes comme des choses immuables. » Comme Jean Scot et Guillaume, il en conclut : « Le modèle (exemplar) ne diffère donc pas, dans son essence, de la Cause efficiente. »
« La première Essence[2] n’a pas besoin de modèle ; elle n’a pas de modèle autre qu’elle-même… C’est par elle-même qu’elle est Cause exemplaire, par elle-même qu’elle est Cause finale, et pour le devenir, elle ne subit aucune addition.
» Bien que les deux rôles (rationes) de Cause exemplaire et de Cause efficiente se distinguent l’un de l’autre, cette distinction ne requiert cependant pas, comme l’admettait Platon, l’existence éternelle de deux principes ; en effet, la dualité des principes suppose une dualité dans l’essence ; or ces deux rôles ne résident pas dans deux essences différentes, comme Platon le paraît croire.
» De ce que l’ouvrier et la matière [qu’il met en œuvre] sont appelés deux principes, il n’en résulte pas que l’ouvrier et la forme doivent être dits deux principes ; ce serait s’écarter grandement de la vérité, à moins qu’on entendît par forme ce qui, en s’unissant à la matière, engendre le composé. »
De ce sens péripatéticien du mot forme, Alexandre a soin de distinguer la forme platonicienne, l’idée ou modèle, conçu par l’artiste, de l’œuvre que celui-ci doit accomplir ; comme Guillaume d’Auvergne, il admet que cette forme ou idée, cause exemplaire, ne fait qu’un avec la cause efficiente, c’est-à-dire avec l’artiste qui la conçoit.
Nous ne devons pas admettre l’existence de plusieurs idées réellement distinctes les unes des autres, mais d’un Exemplaire unique, identique dans son essence avec la Cause efficiente unique qui est Dieu. « Il y a un seul-Exemplaire[3] ; le Monde archétype