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GUILLAUME, ALEXANDRE, ROBERT

certain rapport, ou peut dire qu’il contient ensemble les parties de la Nature comme s’il les pénétrait. »

À côté de l’influence de Jean Scot, on pourrait peut-être, en cette dernière phrase, reconnaître l’influence directe d’Avicébron ; mais il est en réalité bien difficile de discerner ces deux influences l’une de l’autre dans une telle doctrine, où le Philosophe juif semble avoir si constamment subi l’inspiration du Philosophe chrétien.


K. La théorie des idées.


Dans la pensée d’Alexambe de Hales, signalons un dernier souvenir de la pensée de Jean Scot.

Suivant une inspiration licitement, platonicienne, mais christianisée par Saint Augustin, l’Érigène a mis, dans le Verbe de Dieu, un Monde archétype, engendré par le Père de toute éternité, et contenant les formes rationnelles de toutes choses ; ce Monde archétype est identique au Verbe lui-même ; le Monde concret, au contraire, dont ce Monde éternel est le modèle, a commencé dans le temps. Voici ce que devient cette théorie dans la Somme d’Alexandre[1] :

« Le Monde archétype est celui à la ressemblance duquel a été fait le Monde sensible. Or ce Monde archétype est rempli de raisons éternelles qui suffisent à expliquer les créatures. Le Monde sensible, donc, qui est créé, a, de toute éternité, une cause suffisante, puisque le Monde archétype est éternel. Donc le Monde sensible est éternel…

» À cela, il faut répondre : Sans doute, le Monde archétype est un modèle suffisant des choses créées ; il contient en lui des raisons ou idées éternelles ; et une idée ou une raison n’est ainsi nommée que par rapport à ce dont elle est l’idée ou la raison, toutefois, le Monde [sensible], avec tout ce qu’il contient, n’a pas existé de toute éternité. En effet, l’idée et son image, le modèle et sa reproduction, la raison et ce dont elle est la raison, ne sont pas l’un a l’égard de l’autre comme ces choses dont la relation exige qu’elles soient simultanées ; ainsi un père, qui ne peut pas l’être sans fils, et inversement. L’idée existe lors même que l’image de cette idée n’existe pas, et le modèle bien qu’il n’y ait pas d’imitation. »

L objection est d’un Platonicien qui tient pour l’éternité du

  1. Alexandri de Ales Op. laud., Pars II, quæst. XIV. membrum I.