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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME


H. La Trinité divine et la création.


Les actes que la raison distingue mais qui se confondent en la réalité, on peut les altrihuer spécialement à des personnes distinctes de la Sainte Trinité[1] ; « Le Principe s’adapte à l’acte créateur et le Verbe à l’opération par laquelle les choses sont faites, bien qu’en réalité chacune des deux actions regarde chacune des deux personnes. Le premier acte est celui qui tire les choses du néant ; cet acte convient au Principe divin et à nul autre ; si donc l’opération qui consiste proprement à faire les choses regarde aussi le Principe, c’est d’une manière subséquente. Quant au Verbe, son caractère consiste à élucider et à distinguer ; or élucider, distinguer, cela concerne la forme ; partout donc où il est question de formation et de distinction, l’Écriture use à juste titre des mots : Il dit, ou du nom de Verbe. »

Par là, Alexandre, guidé par Saint Augustin, et, peut-être, par Jean Scot Erigène, explique ce texte : In principio Deus creavit…, de la manière suivante : « Dieu le Père a créé dans son Fils, qui est Principe issu du Principe ». Il rapproche ce texte de cet autre : Omnia in sapientia fecisti. « Bien que la Sagesse puisse être dite en commun des trois Personnes, remarque-t-il, cependant elle est attribuée en propre à la personne du Fils. »

Les rôles qu’Alexandre attribue au Père et au Fils dans la création du Monde sont bien ceux que Jean Scot leur avait également attribués, mais avec plus de détails, et qu’Avicébron avait réservés de même à l’Un et à la Volonté.

C’est encore Jean Scot, inspiré lui-même par Saint Augustin, que la Somme résume d’une manière très fidèle en commentant ce texte : Spiritus Domine ferebatur super aquas. « Sous le nom d’eaux, dit-elle[2], ce texte désigne la matière susceptible de recevoir la forme voulue et la localisation qui correspond a cette forme, il ajoute, que l’Esprit de Dieu était porté sur les eaux, parce que la Bonté de Dieu, qui est attribuée en propre à l’Esprit-Saint, est le principe de cette détermination de la matière par forme distincte et localisation délimitée. On demandera peut-être pourquoi le texte dit que l’Esprit est porté sur les eaux et non pas qu’il est au sein des eaux. Nous répondrons : C’est parce qu’il est question de l’Esprit du Seigneur qui est supérieur à la Nature, par rapport à laquelle il joue le rôle d’agent ; toutefois, sous un

  1. Alexandri de Ales Op. laud., Pars II, quæst. XLV. membrum I.
  2. Alexandri de Ales quæst. cit. membrum V.