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GUILLAUME, ALEXANDRE, ROBERT

instant, noter au cours des questions où la Somme discourt de la création du Monde.

À Saint Augustin, elle emprunte[1] cette pensée : « La matière a été faite du néant… afin de devenir, tout d’abord, le réceptacle des formes. » Mais cette pensée, elle la précise aussitôt par cette autre, qui est du même docteur : « La matière dont le Monde a été formé précède par son origine, mais non pas dans le temps, les choses qui ont été faites au moyen de cette matière. » Alexandre va plus loin ; il remarque que, selon le point de vue duquel on considère la création, on peut être amené à regarder comme objet propre de l’acte créateur soit la matière, soit la forme, soit le composé de matière et de forme ; en fait, le terme de la création, c’est à la fois la matière, la forme et la substance qui résulte de leur union : « Par créature, on entend le terme de cet acte qu’est la création ; dès lors, une créature, c’est, ce qui est composé de ces deux choses, la matière et la forme, et c’est, en même temps, cette même matière et cette même forme. Néanmoins, en suivant certaines analogies avec le Créateur, on est amené à dire que le composé est ce qui estcréé en premier lieu ou ce qui, en premier lieu, possède la raison d’être ; suivant d’autres analogies, on dira que c’est la forme ; suivant d’autres encore, la matière. Si l’on considère ce qui est achevé, ce qui existe en soi et par soi d’une manière suffisante, c’est au composé que convient le titre de créature ; si l’on considère la ressemblance que l’acte et la forme présentent avec le premier Principe, on dira que la forme est l’objet de la création ; si l’on considère ce qui est l’origine, ce qui possède la première puissance en son genre, on dira que c’est la matière. »

Des considérations analogues se peuvent répéter au sujet du rôle qu’on attribue, dans l’opération créatrice, à chacune des personnes de la Trinité sainte. « Créer est un acte commun a la Trinité tout entière[2]… Mais, bien que créer soit commun à toute la Trinité, il est permis de faire des appropriations. »

Selon ces principes, Alexandre adopte[3] le commentaire que Saint Augustin donne à ce texte : Dixit et facta sunf mandavit et creata sunt. Il admet que le terme désigne proprement l’acte qui tire la matière du néant et que le terme faire s’applique à l’opération qui informe cette matière. Il a soin, toutefois, d’observer que les deux actes sont simultanés, puisque la matière n’a pu subsister dénuée de toute forme.

  1. Alexandri de Ales Op. laud., Pars II, quæst X. membrum I.
  2. Alexandri de Ales Op. laud., Pars II, quæst XLV. membrum I.
  3. Alexandri de Ales Op. laud., Pars II, quæst XLVI. membrum I.