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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

mes différentes qu’imprimera l’Intelligence active, c’est seulement, pour les philosophes arabes, la Matière, substratum de la génération et de la corruption, au sein de laquelle seront déterminés les corps du Monde sublunaire. Pour Avicébron, la lumière émanée du Verbe prépare la Matière universelle, où l’Intelligence imprimera les formes de toutes les substances tant sensibles que spirituelles.

S’il est permis de rapprocher la pensée d’Ibn Gabirol de celle d’Avicenne et d’Al Gazâli, c’est surtout à celle des Néo-platoniciens hellènes qu’il la faut comparer. Dans la Source de vie, l’inspiration de Proclus, transmise sans doute par le Livre des causes, se laisse partout reconnaître : elle transparaît en maint passage que nous avons cité ; mais pour en éprouver la continuité et la puissance, il ne faut point se contenter de lire ces fragments détachés ; il faut parcourir le livre même d’Ibn Gabirol.

Avicébron, toutefois, s’écarte de son modèle hellène lorsqu’il répand et diffuse, au sein du Monde, non seulement la Nature et les trois Âmes universelles, mais encore l’Intelligence universelle, que le Néo-platonisme plaçait, semble-t-il, si loin et si haut en dehors et au-dessus des choses.

« Observe, dit Avicébron[1] que la substance spirituelle n’est pas bornée ; fais attention à sa puissance ; songe au pouvoir qu’elle a de pénétrer toute chose qui se trouve en face d’elle et qui est préparée à la recevoir ; établis alors une comparaison entre elle et la substance corporelle. Tu verras que la substance corporelle est impuissante à se trouver partout à la fois, qu’elle est trop faible pour pénétrer les choses. Au contraire, tu trouveras une substance simple, la substance de l’Âme universelle, diffusée par le Monde entier, et, grâce à sa simplicité et à sa subtilité, contenant ce Monde en elle-même. De même, tu trouveras que la substance de l’Intelligence universelle est répandue par le Monde entier et qu’elle le pénètre. Il en est ainsi à cause de la subtilité de ces deux substances, de leur force, de leur caractère lumineux ; c’est pour cela que la substance de l’Intelligence pénètre à l’intérieur des choses et s’y infuse. » Déjà, d’ailleurs, Avicébron nous avait appris que cette union des substances spirituelles avec le corps du Monde devait être comparée à l’union de notre âme avec notre corps. Cette union, nous l’allons voir, c’est l’œuvre de la Volonté.

  1. Avencebrolis Fons vitæ, Tract. III, cap. 15. p. 111.