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GUILLAUME, ALEXANDRE, ROBERT

matière de tous les corps, il faut répondre que cela n’est pas, en tant que la matière est le sujet de la transmutation des formes. Ou a dit : De même que le rare et le dense, de même que le léger et le grave ont une commune matière, de même en doit-il être du lumineux et de son opposé. Il faut répondre à cela qu’il n’y a pas similitude. Le rare et le dense communiquent entre eux en ce que la matière de l’un peut se transmuer en la matière de l’autre ; il en est de même du grave et du léger. Il n’en est pas de même du lumineux et de son opposé, à moins qu’on ne veuille parler de la lumière et des ténèbres quand ils se trouvent dans l’air et dans l’eau, qui les peuvent également recevoir ; mais lors que la lumière est dans le Ciel empyrée et l’obscurité dans la terre, ils n’ont pas entre eux cette communication qui proviendrait de ce que la matière de l’un peut se transmuer en la matière de l’autre…

» Sans doute, la matière n’est jamais dépouillée de la grandeur ; toutefois, la matière des corps supérieurs est distincte de la matière des corps inférieurs, en sorte qu’on ne peut dire que les uns et les autres admettent une même matière corporelle. De ce que leurs formes sont, génériquement, une même corporéité, il n’en résulte pas qu’elles soient, numériquement, une même corporéité, de telle sorte qu’il nous faille déclarer que leur matière est unique. »

Cette dernière observation fait songer à la doctrine qu’Averroès enseigne au De substantia orbis.

La Somme d’Alexandre résume en cette proposition toute sa théorie de la matière, qu’elle a visiblement opposée à celle d’Avicébron :

« Bien qu’en la Philosophie purement rationnelle[1], il existe un genre commun à toutes choses, il n’y a cependant pas, pour toutes, une même matière ; le genre, en effet, ne répond pas toujours à la matière, bien que nous disions que le genre est analogue à la matière et que les différences sont analogues à la forme ; selon ce principe, en effet, il nous faudrait dire que les corps et les esprits ont même matière, ce que nous n’admettons pas.

» Il faut donc distinguer une certaine matière qui est le sujet des formes contraires (subjecta contrarietati), et c’est celle qui se trouve dans les éléments ; puis une certaine matière sujette au mouvement et non pas aux formes contraires, et c’est celle qui se trouve dans les corps célestes ; enfin une troisième matière qui n’est le sujet ni de formes contraires ni du mouvement, mais simplement de la forme, et celle-là se trouve dans les esprits. Il

  1. Alexandre de Hales, loc. cit.