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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

tous les esprits n’existe pas, contrairement à ce qu’avaient supposé ces hérétiques, tendant à faire de toutes choses une seule chose. »

N’est-ce pas le Panthéisme de David de Dinant et d’Amaury de Bennes que la Somme condamne ici ? On peut remarquer, en tous cas, que son argumentation rend à la corporéité le caractère essentiel que lui attribuait Al Gazâli, celui qui en fait, dans un corps, le principe de l’unité et de la continuité.


E. La matière céleste et la matière sublunaire


Les principes à l’aide desquels Alexandre a nié qu’il y eût une matière commune aux corps et aux esprits et même qu’il y eût une matière commune aux divers esprits, il va les appliquer aux substances corporelles[1] ; ces principes le conduiront à nier la communauté de la matière céleste et de la matière sublunaire, en dépit des enseignements d’Avicenne, d’Al Gazâli et d’Avicébron.

Conformément à la méthode scolastique, la Somme énumère d’abord les arguments propres à soutenir l’opinion qu’elle se propose de rejeter ; en voici deux qui méritent d’être remarqués :

« Le rare et le dense ont une même matière ; il en est de même du grave et du léger ; pour la même raison, le lumineux et le ténébreux doivent avoir la même matière ; mais le lumineux appartient au ciel et le ténébreux à la terre ; la matière du ciel et de la terre est donc la même…

» Le Philosophe a dit : Il est impossible qu’il y ait une matière dépourvue de grandeur. La grandeur, d’ailleurs n’existe pas sans la corporéité ; il est donc impossible que la matière existe sans corporéité. Mais cette forme peut être commune à la terre et au ciel ; donc la matière leur peut aussi être commune. »

À ces arguments et à beaucoup d’autres, Alexandre donne cette réponse : « Des choses ont une commune matière lorsqu’elles peuvent se transmuer les unes en les autres ou se résoudre en cette matière unique ; mais la terre et le ciel ne peuvent pas se transmuer l’une en l’autre ; il n’arrive pas non plus que l’un d’eux se résolve en une autre chose qui serait son principe matériel, comme les corps composés se résolvent en éléments : ils n’ont donc pas une commune matière. »

Ce principe lui sert à ruiner les arguments qu’invoque la thèse contraire à la sienne :

« À l’objection selon laquelle il doit y avoir une commune

  1. Alexandri de Ales Op. laud., Pars II, quæst. XLIV, membrum II.