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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

les corps, soit corps célestes soit corps inférieurs, sont dits avoir matière et forme ; la matière corporelle, en effet, admet une borne qui est la grandeur ; la matière spirituelle, au contraire, n’a pas de borne ; lorsque le Philosophe, au livre De la génération, dit qu’il est impossible que la matière soit sans la grandeur, il veut parler de la matière corporelle. »

Tout cela, Avicébron l’eût accordé au Franciscain de Hales ; mais il eût ajouté que la matière spirituelle, plus simple que la matière corporelle, était commune à la fois aux corps et aux esprits. Cette dernière proposition, Alexandre la rejette formellement.

Le principe qu’Avicébron a suivi en toute sa Philosophie, c’est le suivant : Lorsque des choses distinctes sont reconnues appartenir à un même genre, cette communauté de genre est l’indice d’une communauté de matière ; la distinction entre ces choses de même genre doit être mise sur le compte de la différence des formes.

Ce principe, Alexandre de Hales le connaît fort bien, mais fort nettement, et à plusieurs reprises, il le déclare faux.

« Bien qu’en la philosophie purement rationnelles[1], il existe un genre commun à toutes les choses créées, il n’y a cependant pas, pour toutes, une même matière ; le genre, en effet, ne répond pas toujours à la matière, bien que nous disions que le genre est analogue (ad modem) à la matière et que les différences sont analogues à la forme ; selon ce principe, en effet, il nous faudrait dire que les corps et les esprits ont même matière, ce que nous n’admettons pas. »

« On dit[2] que des choses ont une même matière lorsqu’elles peuvent se transmuer les unes en les autres ou se résoudre toutes en cette matière. »

Alexandre rapporte[3] ce raisonnement qui tend à établir que l’ange est composé de matière et de forme :

« Toutes les choses qui, selon la raison, se réunissent en un même genre, doivent, selon la nature, posséder une même matière, car le genre répond à la matière. Puis donc que cette substance qu’est l’ange, convient en genre avec le corps, elle aura quelque chose qui jouera en elle le rôle de matière (habebit rationem materiæ) ; si elle a quelque chose qui joue le rôle de matière, elle aura aussi quelque chose qui joue le rôle de forme. »

Tout en accordant, au moins comme conclusion probable, que

  1. Alexandri de Ales Op. laud., Pars II, quæst. XLIV, membrum II.
  2. Alexandri de Ales. loc. cit.
  3. Alexandri de Ales Op. laud., Pars II, quæst. XLIV, membrum II.