Page:Duhem - Le Système du Monde, tome V.djvu/334

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
328
LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

du premier Principe[1], on peut distinguer ce qu’est cet être et ce par quoi il est ;… et toute chose en laquelle on peut distinguer ce qu’elle est (quod est) et ce par quoi elle est (quo est), est une substance composée. »

Ce principe, revient souvent, dans la Somme d’Alexandre. Parfois il y est pris, semble-t-il, comme équivalent à cette affirmation :

« Toute créature est composée de matière et de forme. » Ainsi en est-il au passage suivant :

Que l’âme humaine ait matière et forme, « cela paraît[2] par ce que dit Boëce au livre De la Trinité : « En tout ce qui vient après le premier Principe, il y a ceci et cela. In omni eo quod est vitra primum Principium, est hoc et hoc[3] ». Boëce parle des choses qui sont des substances par elles-mêmes, et non pas de la matière et de la forme ; sinon, on s’en irait à l’infini. Mais l’âme humaine est telle, car elle existe par elle-même, ce qui se manifeste par sa séparation d’avec le corps. Elle a donc en elle ceci et cela (hoc et hoc). Mais ce ne peut être matière et matière ni forme et forme ; l’une des deux, en effet, serait superflue, Ces deux choses seront donc matière et forme. »

Souvent, au contraire, Alexandre paraît regarder la distinction du quod est et du quo est comme n’étant pas la distinction de la matière et de la forme. Mais, à coup sûr, il n’hésite pas à formuler ce postulat[4] : « Un être créé, c’est ce qui est composé de ces deux choses, la matière et la forme. »

La distinction de la matière et de la forme n’est donc pas restreinte aux êtres corporels ; elle doit également s’introduire en la nature des êtres spirituels ; aussi Alexandre fait-il sienne[5] cette proposition de Saint Augustin : « Au commencement, Dieu fit le ciel et la ferre, c’est-à-dire qu’en son Verbe coéternel, il fit la matière de la créature tant spirituelle que corporelle. »

Attribuer une matière même aux créatures spirituelles, c’est le propre de la philosophie d’Avicébron dont la Somme, en ce point, suit fidèlement les leçons.

La créature angélique elle-même est composée de matière et de forme. « Bien que, selon certains philosophes[6], cette intelligence qu’on nomme ange soit une forme sans matière, on doit déclarer,

  1. Alexandri de Ales Summa theologica, pars II, quæst. XX, membrum II, art. II.
  2. Alexandri de Ales Op. laud., pars II, quæst. LXI, membrum I.
  3. Anitii Severini Manlii Boethii De Trinitate, (Boethii Opera, éd. Basileæ, MDLXX, p. 1122).
  4. Alexandri de Ales Op. laud., pars II, quæst. X, membrum I.
  5. Alexandri de Ales Op. laud., pars II, quæst. I, membrum II, art. III.
  6. Alexandri de Ales Op. laud., pars II, quæst. XIX, membrum II, art. II.