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GUILLAUME, ALEXANDRE, ROBERT

dernière analyse, une doctrine du Philosophe juif qu’Alexandre va s’efforcer de réfuter. Voici en quels termes il le fait :

« Par rapport à l’essence divine, il ne peut y avoir proximité ou éloignement relatif au lieu ou à la situation ; on ne s’éloigne pas plus ou moins de Dieu en occupant des lieux dissemblables, comme le dit Augustin,… et cela, parce que Dieu est partout ; par rapport à Dieu, toute distance provient d’une plus ou moins grande privation, qui est une privation de forme, ou bien d’une composition plus ou moins grande ; mais il ne peut y avoir composition plus ou moins grande en l’absence de forme, ni privation plus ou moins grande, si ce n’est à l’égard des formes ; cette distance qui doit expliquer la multiplicité, ne proviendra donc pas, en général, de la matière.

» Dira-t-on, en effet, que la matière a des parties ? Mais, alors, c’est qu’elle possède la divisibilité (partibilitas). Or, sans forme, il n’y a pas de divisibilité. Si, en outre, elle est plus simple en une de ses parties et plus massive (corpulentior) en une autre, cela ne peut être qu’en raison des formes ; car la matière est matière par cela seul qu’elle possède la possibilité de recevoir des formes.

« D’autre part, en raison de sa corporéité, la matière est divisible ; mais la division effective provient d’ailleurs que la divisibilité ; le principe de la division ou de la multiplicité est donc autre que la matière. De plus, si c’est en raison de la corporéité que la divisibilité réside en la matière, la division y sera en raison de la forme, car la corporéité est une forme.

» Enfin si la multiplicité existait uniquement en raison de la matière, toutes choses seraient une en leur forme ; l’unité, en effet, étant attribuée aux choses en raison de la forme comme la multiplicité l’est en raison de la matière, toutes choses seraient une seule chose. Comme cela n’est pas, la multiplicité n’existe donc pas seulement en raison de la matière, mais encore en raison de la forme.

» Si l’on admet, maintenant, que la matière est créée, et non pas coéternelle à Dieu, ce n’est pas d’elle que proviendra la multiplicité des êtres créés ou produits. Au moment de la création, en effet, ou bien la matière seule a passé du non-être à l’être, ou bien la forme a subi, avec la matière, ce même passage.

» Si la matière seule a passé du non-être à l’être, il n’y a pas eu multiplicité.


    vitæ. Edidit Clemens Baeumker, Pars II, Capp. 20-21 (Beiträge sur Geschichte der Philosophie des Mittelälters, Bd. I, Heft II ; Münster, 1892, pp. 61-63).