Page:Duhem - Le Système du Monde, tome V.djvu/330

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
324
LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

qu’il est la cause de ces choses et que ces choses sont créées par lui. Celui, au contraire qui se commit comme tenant d’un autre son existence, sait simplement qu’il est lui-même créé. Or la raison de produire convient à la cause et non pas à ce qui est causé ; par là donc l’Intelligence divine possède, plus que l’intelligence angélique, la raison de la création des êtres multiples. »

On ne saurait méconnaître la force qu’a cet argument à l’encontre des Néo-platoniciens qui accordent à Dieu la connaissance des êtres particuliers ; or telle était la doctrine d’Avicenne et d’Al Gazâli.

« D’autres, poursuit Alexandre, ont dit que l’unité provient de la forme et la multitude de la matière ; pour cette cause, la raison de la multiplicité ne dérive pas de l’Être suprême, qui est forme, mais elle dérive de la matière.

» Mais qu’on suppose la matière coéternelle [à Dieu] ou qu’on la suppose créée et non coéternelle, voici ce qu’on peut objecter à cette opinion :

» Si l’on admet, en effet, que la matière est coéternelle [à Dieu] et que la forme ne l’est pas, ou bien une seule forme sera créée en cette matière, ou bien plusieurs formes y seront produites. Si une forme unique est créée en cette matière unique, un tel être se trouvera produit. Si l’on prétend que la forme unique est multipliée par la matière, cette multiplicité, en tous cas, ne sera pas une multiplicité de genres et d’espèces ; partant, la diversité générique et la diversité spécifique des choses ne proviendront pas de la matière.

» Peut-être dira-t-on, comme on le trouve au livre De unitate et uno, qu’en la matière, il y a distance (dissensio), en sorte qu’une partie de la matière est plus proche [du premier Principe] et une autre partie plus éloignée ; que, de cette différence, proviennent la diversité générique et la diversité spécifique des formes en la matière ; c’est ainsi, par exemple, que l’intelligence est d’une matière plus simple, l’âme d’une matière moins simple, et ainsi des autres êtres. »

Alexandre, en effet, avait pu lire au traité De unitate écrit par Dominique Gondisalvi, l’exposé de la doctrine[1] qu’il résume ici. D’ailleurs, au traité du diacre de Ségovie, cet exposé provenait d’un emprunt textuel[2] au Fons vitæ d’Ibn Gabirol. C’est donc, en

  1. Die dem Boethius fälschlich zugeschriebene Abhandlung des Dominicus Gondisalvi De unitate. Herausgegeben von Paul Correns (Beiträge zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters, Bd. I, Heft I, Münster, 1891 ; pp. 6-8.
  2. Paul Correns, Op. laud., pp. 23-24. — Cf. : Avencebrolis (Ibn (Gebirol) Fons